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Gammes de Cinéma : Cinéaste/Compositeur, 10 collaborations d'exception


Combien de fois avons-nous éprouvé le grand frisson sur grand écran grâce à l'harmonie parfaite d'un plan et d'une envolée musicale ? Si l'art d'un cinéaste atteint parfois des sommets, c'est aussi au travers de son rapport étroit avec un compositeur qui lit en lui, comprend ses intentions et les interprète à la faveur d'une partition qui en décuple la portée. Dès lors que l'alchimie a lieu, il n'est pas étonnant de la voir se prolonger. C'est pourquoi nous allons revenir, de façon non exhaustive, sur 10 collaborations cinéaste/compositeur à la fois importantes et durables, avec pour leitmotiv : « Un grand thème musical pour un grand moment de cinéma ». Alors bonne lecture et bonne écoute !


Alfred Hitchcock / Bernard Herrmann


Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann ont travaillé ensemble sur 8 films seulement, de 1955 à 1964, mais la fusion de leur talent respectif n'a évidemment échappé à personne et certainement pas dans « Psychose », au détour d'une scène aujourd'hui passée à la postérité. On y suit Marion Crane (Janet Leigh) sous la douche, dans la salle de bain d'un motel, assassinée à l'arme blanche par un agresseur anonyme, surgi dans son dos. L'action est scindée en deux parties, le meurtre sauvage d'abord puis l'agonie ensuite. Bernard Herrmann orchestre cette première partie sur un rythme métronomique, avec des stridulations de violons qui composent une boucle infernale. Le motif musical se mêle par ailleurs aux cris de la victime et donne l'illusion d'une synchronisation avec chaque coup de couteau. La seconde partie opte pour un decrescendo de cordes beaucoup plus graves, accompagnant le corps meurtri de Marion Crane qui s'effondre lentement jusqu'à la mort. C'est ce jeu de sonorités extrêmement percutantes, contrastées, qui oriente la lecture en deux temps de la scène.



Tim Burton / Danny Elfman


Tim Burton a jusqu'alors fait appel aux services de Danny Elman à 15 reprises. Une fidélité relationnelle remarquable qui connaîtra l'un de ses accomplissements les plus probants lors d'une scène de pur enchantement dans « Edward aux mains d'argent ». On assiste à la danse extatique de Kim Boggs (Winona Ryder) sous une averse de flocons de neige, provoquée par Edward (Johnny Depp) qui cisaille un ange de glace. La musique se déploie peu à peu à mesure que la jeune femme tournoie au ralenti, en enrichissant progressivement le court thème au piano (une récurrence de quelques notes seulement) de nappes de violons, de volutes de harpe et de sons de clochettes, teintant à la façon d'un carillon. Puis des choeurs de femmes viennent guider l'ensemble musical et ajoutent cette connotation féérique, quasi-mystique, qui sied idéalement à la figure de l'ange sculpté par Edward et à ce décor de fêtes de fin d'année. Dès lors que le réel, ici rappelé par l'intervention d'un personnage secondaire, interrompt la magie, la musique cesse tout aussi net.



David Lynch / Angelo Badalamenti



Compositeur de 7 des œuvres de David Lynch, Angelo Badalamenti a peut-être signé l'un de ses plus beaux scores avec « Twin Peaks », série qui aura ensuite donné lieu au film éponyme, sous-titré « Fire walk with me ». Dans la scène finale du film, Laura Palmer (Sheryl Lee) se retrouve à l'intérieur d'une chambre-purgatoire et fait face à une apparition divine. La mélodie, très synthétique, repose sur des modulations de différentes tonalités, avec des accords qui s'alimentent et se contredisent en permanence. Un choix qui recouvre l'image d'une ambiguïté imparable, collant brillamment en ce sens au conflit intérieur de Laura Palmer, qui passe de l'inquiétude à la sérennité puis à l'hilarité. Il faut en outre souligner la présence du design sonore, ici principalement le bruit du vent, qui se tresse à la musique, là aussi sans doute pour évoquer le dernier souffle de vie de l'heroïne avant son passage dans l'au-delà.



Jacques Demy / Michel Legrand



Avec 9 films en commun au compteur, ils ont noué une solide complicité, notamment dans le registre de la comédie musicale où tous les deux excellent, qui a culminé dans « Les Parapluies de Cherbourg ». Une scène reste forcément en tête, celle de la séparation des amants sur le quai de la gare. Le thème principal se répète trois fois et ponctue ainsi en crescendo les trois blocs qui segmentent l'action. Geneviève (Catherine Deneuve) et Guy (Nino Castelnuovo) se disent adieu puis renoncent à se quitter dans le hall de gare, longent ensemble le quai avant de se séparer quand Guy monte à bord du train. À chaque réitération du thème, composé essentiellement d'instruments à vent et à cordes, l'orchestration enfle, de nouvelles lignes mélodiques au violon viennent soutenir le motif initial, offrant une dimension lyrique voire opératique à la scène. Le chant des personnages, lui aussi répétitif, accentue l'idée d'un au revoir impossible, que l'on rejoue et diffère autant que possible.



Darren Aronofsky / Clint Mansell

Encore jeune mais déjà incontournable, leur collaboration se fructifie de film en film (6 au total pour le moment), ayant commencé très fort dans « Requiem for a dream », avec cette ritournelle fiévreuse devenue instantanément culte. Une scène a retenu notre attention, en réalité un plan-séquence où Marion Silver (Jennifer Connelly) sort d'un immeuble, empruntant couloirs et ascenseur, le dégoût chevillé au corps. La fameuse ritournelle débute au piano, insidieuse, épurée, puis se complexifie en additionnant une à une les pistes au violon et violoncelle (jouées « staccato » ou « legato », soit de façon détachée ou liée), comme autant de solos distincts et complémentaires. Au moment où Marion Silver sort de l'ascenseur, la musique, désormais achevée dans son processus additif, intervient comme une libération, une fuite en avant ; la jeune femme vomissant à peine arrivée dehors. Le maelstrom symphonique concocté par Clint Mansell appuie ainsi judicieusement le vertige et la tension qui infusent tout le long du plan.



Sergio Leone / Ennio Morricone

Comment ne pas mentionner les 8 partitions d'Ennio Morricone pour Sergio Leone ? Bien sûr, c'est sa plus célèbre que l'on va commenter, celle de « Il était une fois dans l'Ouest », dans la scène du duel final entre Frank (Henry Fonda) et « L'Homme à l'harmonica » (Charles Bronson). Un surnom qui est également le titre du morceau qui amorce les hostilités. L'harmonica se déclare d'abord dans un chuintement lancinant, mystérieux, soutenu par une guitare électrique qui impulse peu à peu d'autres cordes ainsi que des percussions dans un mouvement de plus en plus emphatique, scellant l'icônisation des deux cow-boys. La progression musicale épouse le montage, renforce chaque regard, accompagne chaque déplacement, de façon à dilater ce temps de l'apprivoisement de part et d'autre. Quand ce temps touche finalement à son terme, les deux duellistes réduisent la distance entre eux et la musique s'atténue jusqu'à s'effacer complètement, en marque de respect, laissant place à l'affrontement.



M. Night Shyamalan / James Newton Howard

James Newton Howard a sans doute révélé son plein potentiel en travaillant avec M. Night Shyamalan, jusqu'ici sur 8 de ses films. Sa quatrième contribution, pour « Le Village », a ému beaucoup de spectateurs, à raison. Arrêtons-nous sur la scène du « sauvetage », alors qu'Ivy (Bryce Dallas Howard) attend fébrilement l'arrivée de Lucius (Joaquin Phoenix) pour venir la protéger des créatures qui rôdent. La musique se découpe en trois périodes. La première établit un motif simple au violon, variation de deux notes successives, sur une rythmique tribale. La tension est à son maximum, Ivy se tenant sur le seuil de sa maison, à la merci du danger. Puis la deuxième période suspend brièvement la dynamique mise en place, et s'en tient à un écho lointain, diffus, semblable à la réverbération d'une cloche. C'est le moment de l'attente, décisif, peut-être fatal. L'instant d'après, la troisième période enclenche le thème romantique, un arpège au violon, lorsqu'Ivy est sauvée in extremis par Lucius. L'amour succède à la terreur de façon soudaine mais néanmoins naturelle, transition favorisée notamment par le ralenti à l'écran.



Hayao Miyazaki / Joe Hisaishi

Hayao Miyazaki n'a pour ainsi dire jamais quitté Joe Hisaishi, depuis 1984, et les 10 long-métrages qui ont suivi. Une œuvre se détache pourtant, « Le Voyage de Chihiro », et avec elle, une scène de voyage justement, en train. Chihiro monte dans un wagon peuplé de personnages fantomatiques, avec un étrange compagnon masqué. Très dépouillée, la musique ne se compose que d'une mélodie au piano, jouée « pianissimo », presqu'en sourdine par endroits, entrecoupée d'intermèdes plus amples au violon. Si les deux instruments sont isolés et interviennent tour à tour au début de la scène, ils s'associent par la suite, à mesure que le train se rapproche de sa destination et que ses passagers en descendent, laissant seuls Chihiro et son acolyte énigmatique. L'incroyable douceur musicale qu'entretient Joe Hisaishi bénéficie au sentiment mélancolique et paisible que nous inspirent les paysages qui défilent.



Luc Besson / Eric Serra

Compositeur attitré de Luc Besson, ayant officié sur l'intégralité de sa filmographie (15 œuvres, courts et longs-métrages), Eric Serra a démontré très tôt l'étendue de son talent dans « Le Grand Bleu ». La scène qui nous intéresse est celle du générique d'ouverture, un enchaînement de plans qui rasent la surface de la mer avant d'introduire Jacques Mayol enfant (Bruce Guerre-Berthelot) prêt à plonger. Principalement interprétée au clavier synthétiseur, la musique mise ainsi sur des nappes analogiques, des sonorités de bois et cymbales, assorties de chants de dauphins traités de façon à modifier leur tonalité. L'ensemble évoque immédiatement l'acoustique sous-marine, entre notes cristallines et sons plus étouffés. Quand Jacques Mayol apparaît à l'image, le thème est agrémenté d'un solo de saxophone, aux accents jazzy, qui imprègne la scène d'une profonde nostalgie, en parfait accord avec le choix du noir et blanc qui ramène à une époque bénie, celle de l'enfance en l'occurence.



Steven Spielberg / John Williams



Voilà sans conteste la collaboration la plus mémorable et conséquente entre un cinéaste et un compositeur. 27 films à oeuvrer ensemble, et des compositions presque toujours remarquables, dont celle qui jalonne et ouvre en grande pompe « Les Dents de la Mer ». Le prologue en a terrassé plus d'un, et le thème créé par John Williams n'y est pas étranger. Une jeune femme se baigne en mer non loin du rivage, quand quelque chose la happe, la ballotte dans tous les sens puis l'emporte sous l'eau. Cela commence à la harpe, harmonieusement, alors que des cordes plus graves contrarient déjà l'apparente tranquilité. C'est ensuite le célèbre motif musical qui prend le relais, une progression atonale constituée de deux notes qui se répètent, au moment où le point de vue change, épousant le regard de la menace qui remonte à la surface pour attraper sa proie. Une fois la jeune femme prise au piège, l'orchestre au complet fait son entrée, à grand renfort de cuivres et de contrebasses qui condamnent d'emblée la victime. John Williams s'en étonne encore ajourd'hui, mais sa partition a donné une présence viscérale au hors-champ du film, dont ce prologue bien sûr.

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