(Synema est une variété d'araignée qui n'a en commun avec notre sujet que le nom... et aussi le fait que le Septième Art est une immense toile, peuplée de nœuds dramatiques et d'émotions qui révèlent parfois les larmes... ces étranges rosées du matin. Ce n'est pas le Web qui contredira tout cela !)
Chocolat, quand tu nous tiens… 2005 : Où vont ces camions de la firme Nestlé, emplis de cent vingt mille litres d’un mélange couleur chocolat ?
Vers les Pinewood Studios où Tim Burton est revenu pour un douzième film, scénarisé par John August (initiateur du projet Big Fish), d'après le roman de Roald Dahl !
Charlie et la Chocolaterie, second du nom, est pour son réalisateur un rêve de plus de quinze ans, s’adressant surtout à un public qui en compte un peu moins : un mystérieux chocolatier propose à cinq enfants choisis par de mystérieux tickets d’or de visiter sa mystérieuse usine et tenter de gagner un mystérieux premier prix.
Mystérieux ? Moi, j’ai dit mystérieux ? Comme c’est étrange…
Justement, le film danse avec l’étrange :
Des cascades en chocolat, des chewing-gum qui font gonfler le mâcheur lui-même, des écureuils payés à la noix, des êtres lutinoïdes venus de jungles inexplorées et surtout, surtout, un traumatisme ! Thème cher à Tim Burton, la souffrance du passé hante les plus belles scènes de ce film qui, pourtant, se fait beaucoup plus léger et doucement enfantin que ses prédécesseurs !
Pour son quatrième rôle avec Burton, Johnny Depp incarne Willy Wonka, un chocolatier excentrique, déphasé, presque à l’étroit dans sa redingote, ce qui le rend plus maniéré : ses envies de mouvements "expansifs" sont bridées par des coutures ankylosées, et donc son "espace gestuel" est resserré… Comme sa vie !
Lui qui rêvait de voyages, flottant aux cieux parmi les drapeaux de tous pays, le voilà enfermé dans son monde qui est aussi sa solitude : déçu par la mesquinerie des autres, incompris de tous, même de son père (l'ombre du père au cœur inaccessible, du père "étranger", si ce n'est "ennemi", aura obscurci le passé de bien des personnages de Burton !)... Bref, un aventurier de l'exil : chassé de la vie, ses seuls amis étant des petits hommes apparemment muets (sauf quand il s'agit de chanter) et ses sucreries…
Pourtant, sa prison semble parfois plus grande que le reste du monde : dans l’Espace (la démesure des lieux engloutit toutes idées de repères potentiels... on s'y perd, comme les frontières : les ascenseurs desservent même l'extérieur, comme s'il n'était qu'une extension de l'usine), dans le Temps (trois quarts du film y sont consacrés), mais aussi dans la logique. Il n’y a que dans cette usine que l’on peut trouver des montagnes enneigées, des moutons roses, des vaches fouettées pour qu’elles donnent une crème qui soit de même. ..
De plus, la chaleur de la chaufferie (s’il s’agit d’elle) apporte un peu d’été coloré à cette chocolaterie qui contraste fortement avec l’extérieur froid, enneigé, en nuances de gris. Comparaisons qu’affectionne Tim Burton, et qui met encore une fois en avant le monde plus "intime", plus "à part" des "monstres" bannis du quotidien et du conventionnel.
Avec sa structure dès le début évidente, ce film ne compte pas sur les twists (qui pourtant annoncent les bonbons lors de Halloween) : on sait déjà que Charlie sera le vainqueur, on comprend vite que ses quatre concurrents vont mal se comporter et se faire un à un évincer…
On devine même comment, sachant que l’une affectionne trop le chewing-gum ou que l’autre est un peu trop axé sur la technologie.
Mais là n’est pas le but de Tim Burton, qui profite de ce schéma simple et intuitif pour proposer une virée poétique qui ne s'appuie pas forcément sur des ressorts scénaristiques ou quelques besoins de compréhension de l'intrigue. Le schéma de cette histoire intéresse moins le réalisateur que l'univers et les personnages qu'elle lui offre !
Outre un aspect "rassurant" pour le spectateur, sûr de suivre une aventure claire, cette structure a quelque chose de ludique : elle l'invite à un jeu où on se demande, amusé, qui est le prochain "condamné" et comment il va y passer.
Le plaisir est davantage dans la contemplation, de l’image et de l’histoire : comment pourrait-elle malgré tout se réinventer et nous surprendre...
Ce film marquera le début d’une nouvelle ère pour Tim Burton.
Ses intrigues se font globalement plus gentillettes, plus familiales… La folle force burtonienne est toujours là, mais plus discrète, plus distraite, pour être plus distrayante, délaissant le tourment et la profondeur (à une exception près).
Fait intéressant, ce film est son premier où le numérique s'accapare autant de place…
Avec ses prochains longs-métrages, ça ne va pas aller en s’arrangeant : l’éponge numérique se gorgera de plus en plus de l’image, à tel point que le scénario manquera parfois presque de se dessécher…
Ses marques de fabrique sont toujours là… voire, quelque part, "trop", ou plutôt de façon trop évidente… Comme si Burton faisait trop confiance à son style et s’emmêlait dans les boucles de sa propre signature.
Nous aurons donc la possibilité de le retrouver au détour de noces cadavériques où le gris est une fois encore confronté aux vives couleurs, s’avérant être… du côté des morts !
Ou alors (pour la fameuse exception près mentionnée plus haut) sous la fumée des usines londoniennes qui semblent une extension de la crasse des égouts, une crasse rouge vif (comme un sang qui contiendrait encore l’âme fraîche, claire et charnelle que l’on vient de trancher, ou comme un sang qui se veut factice, moqueur, hommage aux effets spéciaux des films de série B).
Ou bien du côté (et de l’autre) du Miroir qui renferme secrets et merveilles, où pour cette fois, la Glace a remplacé le chocolat !
Ou même, enfin, sur la route d’un manoir hanté par un vampire qui a du mal à s’adapter aux mœurs d’un siècle trop différent du sien…
Que d’étrangers, que d’intrus qui errent entre deux vies, vacillant entre le foyer hostile et le farouche horizon… (numérique) !
La reprise d’un de ses propres anciens moyens-métrages, Frankenweenie, devient même l’aveu explicite de cette "commodité". Le réalisateur voudrait-il se cacher derrière sa réputation, qu’il en revient ainsi aux sources et à son imagerie la plus solide et évidente ?
Après tout, il nous a tellement émerveillés que nous ne voyons plus en lui que de quoi être déçus, alors que ses dernières œuvres moins extraordinaires nous auraient paru très impressionnantes, accompagnées d’un autre nom au générique !
En tout cas, pour certains, le grand Burton se refroidit, pour d’autres il ne fait que se calmer… Pour d’autres enfin, il attend juste que nos yeux se soient habitués aux habituelles ténèbres errantes pour mieux nous éblouir d’une imprévisible flamme !