(Synema est une variété d'araignée qui n'a en commun avec notre sujet que le nom... et aussi le fait que le Septième Art est une immense toile, peuplée de nœuds dramatiques et d'émotions qui révèlent parfois les larmes... ces étranges rosées du matin. Ce n'est quand même pas le Web qui contredira tout cela !)
Chers lecteurs et chères lectrices de la Synema, en ce lieu vous attend l'avant-dernière partie de l'article Fils de Synema 4, consacré à une analyse du sixième long-métrage de Guillermo Del Toro, Le Labyrinthe de Pan (2006), à l'origine trop vaste pour tenir dans son intégralité sur une seule page, "dans le même paysage"...
Ici n'est donc que l'une des "contrées" dudit "comté" contenant le même conte discontinu...
Prenez-le bien en compte !
La Synema vous recommande de commencer votre lecture par le Chapitre 7, mais vous pouvez également défier les conventions en démarrant directement par le Chapitre 9 !
tait-ce à nouveau une hallucination ? Un résidu tenace d'illusion qui restait agrippé à ses yeux ? Cette lueur d'un blanc étincelant, là-bas, au fond de la salle ? Apparemment non, car à mesure que Guillermo s'en approchait, elle ne disparaissait pas.
Au contraire, elle s'agrandissait, gagnant en intensité, pour devenir l'entrée d'un autre tunnel, similaire à celui de bois trépassé, à ceci près que le bois avait été remplacé par du verre et des diamants.
Comme précédemment, un immense précipice coupait la route, juste après deux colonnes de cristal à la base d'une grande arche transparente sur laquelle était gravé "Le Tournage : Présent du Film !". Le tout formant une "entrée" sans portail.
Ce gouffre-ci avait l'étrange particularité d'être aussi blanc que profond... Comme il était démesurément profond... C'était la première fois que Guillermo pouvait admirer des ténèbres blanches, qui avaient beau se parer d'une pâleur d'opale, paraissaient pourtant opaques.
Au bord du précipice, juste au milieu du chemin, une des dalles de verre étincelait plus que les autres.
Un cadenas y était sculpté en creux, comme s'il se fût agi d'un moule vitré. En son centre, une clef de cristal se tenait debout et à l'envers, la "tête" toujours soudée au sol. Même si cela y ressemblait, ce n'était certainement pas une prise murale (qui requiert comme condition principale d'être fixée à un mur, non au sol) !
Mais le principe devait être équivalent... Guillermo plaça donc le Cadenas du Présent, face vers le bas, dans cet "étui" qui lui allait exemplairement, et le fit tourner. Cela eut pour effet de faire tourner la dalle avec lui.
Là encore, une symphonie de cliquetis cristallins emplit tout le mécanisme. Chaque écho faisait de plus en plus trembler les scintillants rouages de verre qui grinçaient à la manière de deux glaçons qu'on frotte l'un contre l'autre dans l'espoir irréfléchi de produire une étincelle.
Il devint bientôt difficile de poursuivre cette rotation de cadenas qui, ayant à peine atteint son deux-cent-troisième degré, commençait à résister fortement. Quelques fissures se dessinaient sur sa coquille de verre (luisant), des bris (brillants) déjà s'arrachaient du mécanisme et l'ensemble menaçait de voler en éclats (éclatants) à tout moment.
Ces menaces durent être prises au sérieux : dès que Guillermo eut terminé un tour complet, le dispositif fut disposé à exploser dans un chaotique chœur de verre qui se brise, se brise et se rebrise, puis vient tinter contre les parois vitrées, avant que de se précipiter vers le précipice pour y choir en cascade (sûrement la métaphore d'une bobinette qui choit). Heureusement, aucun morceau ne blessa notre héros.
Encore une fois, il lui fallut attendre pour qu'il se passât quelque chose...
Et même en attendant, il n'arrivait toujours rien : Guillermo restait seul dans le blême silence, au centre de quelques débris de verre explosé exposés, n'ayant pas été projetés assez loin pour tomber.
Alors qu'il commençait à s'inquiéter, un constat assez incongru s'aventura dans ses vagabondes pensées : le Cadenas du Passé avait créé un souffle permettant à Guillermo de franchir son obstacle en le poussant... Dans le dos... Tel le Passé qui sert d'élan pour avancer mais qui demeure derrière.
L'aide du Présent devrait, par conséquent, intervenir au Présent... et au Présent seulement !
Ne voyant pas quel autre choix il avait à sa portée, notre réalisateur se résolut à faire un pas dans le vide, en espérant que quelque chose se produise instantanément. Et ce fut une bonne résolution... qui résolut son problème ! Au premier pas se créa immédiatement sous sa semelle une plate-forme de la superficie exacte de la plante de son pied, soutenue par un immense pilier surgi des tréfonds blancs du gouffre et composé des fameux fragments de verre réagencés.
L'unanimité concédera que c'est d'une logique difficilement parable : après le premier pas, vient le deuxième. À nouveau, son pied se posa sur un autre morceau de pont qui venait à l'instant de se former, toujours avec les mêmes miettes vitrées. Lorsqu'il releva sa première jambe, le premier socle qui n'avait plus rien à supporter s'effondra sur le champ.
Et ainsi de suite : à chaque pas que faisait Guillermo, une étroite portion de pont apparaissait et une autre, devenue inutile, disparaissait.
Ainsi il put traverser tout le précipice, tel un funambule, jusqu'à parvenir à l'autre rive. À cet instant, il ne restait plus nulle trace de cette passerelle instantanée qui lui avait ouvert la voie.
Il s'y était habitué : voici qu'il se trouvait dans une vaste salle, semblable à la précédente, mais cette fois tapissée de cristaux scintillants.
Le carrelage translucide était découpé de telle sorte qu'il dessinait sur le sol une immense carte de l'Espagne, datée de Juillet à Octobre 2015. Carte représentant en particulier la Sierra de Guadarrama. Mais trois diamants incrustés de-ci de-là indiquaient d'autres positions comme Belchite, El Espinar et Ségovie. Guillermo l'avait deviné : tout son tournage se partagerait ces quatre mois et ces trois lieux.
Par contre, ce qui l'interpellait, c'était l'étrange manière avec laquelle le verre était fissuré à ces points là : on aurait cru se tenir devant une terre toute sèche et craquelée par la soif. Le retour des visions confirmèrent les craintes du clairvoyant réalisateur : durant cette période estivale, la région de Ségovie s'avère sujette à d'importantes sécheresses ! Et qui dit "sécheresse", pense éventuellement à "risques d'incendies"... Ce qui ne manquerait pas de compliquer la mise en place des effets pyrotechniques... Il faudrait par le fait intégralement retravailler en post-production les séquences introduisant coups de feu et explosions.
Et cela ne s'arrêterait pas là : parmi d'autres inconvénients, l'aridité obligerait l'équipe décoration à modifier les décors naturels afin de les rendre plus humides, "moussus".
Contrairement à la Chambre du Passé, celle-ci était entièrement déserte... sans aucun aménagement. Cela voulait-il dire qu'aucun des décors de son futur film n'existait et qu'ils devraient tous être construits spécifiquement pour lui ?
Que voilà un important travail qui attend l'équipe artistique chargée de les créer tous !
Guillermo pouvait voir cela d'ici : ceux qui demanderaient le plus d'ouvrage seraient le train déraillé, le grand moulin-repaire du Capitaine Vidal et, bien évidemment, le Labyrinthe du Faune s'étendant tout autour d'un certain "Terrier de Lapin", d'une profondeur allant jusqu'à quatre mètres, lui aussi à creuser !
En parlant de "terrier", Guillermo se demanda soudain, en contemplant l'immensité de cette pièce, s'il valait mieux réserver au Crapaud que rencontre Ofelia un large espace ou non. Le premier cas serait plus pratique pour les déplacements du quiet batracien ! Le réalisateur imaginait déjà son équipe ayant bâti un grand décor pour le monstre qu'il voulait mobile. Mais alors que se poursuivait cette rêvasserie, il voyait les techniciens peiner à faire se déplacer crédiblement le trop lourd Crapaud, à tel point qu'il faudrait repenser tout le script et le décor ! Contrariante prémonition... Mais cela aurait pu être pire : il n'osait imaginer le cas redouté où il ne resterait que deux jours pour ces changements, s'il voulait tourner cette scène sans dépasser les délais !
Cela étant, la Synema souhaiterait succinctement interrompre son conte pour vous faire part d'une observation : ne trouvez-vous pas qu'il en est mieux ainsi ? Ne trouvez-vous pas que le fait qu'on ait un énorme amphibien dans un espace étriqué est plus pertinent (ne serait-ce que par le contraste de ces disproportions, confirmant que le Crapaud est un intrus, qu'il n'est pas en accord avec son décor) ?
Car, si l'on y regarde bien, d'une épreuve à la suivante, on peut remarquer que l'espace s'agrandit : d'abord l'étroite galerie (un réduit réduit), puis un corridor à échelle humaine menant à un infernal salon, et enfin tout un labyrinthe à ciel ouvert !
Les territoires du monde fantastique s'accroissent jusqu'à devenir le Royaume Souterrain tout entier !
D'ailleurs, il n'y a pas que les environnements magiques qui s'étendent : à chaque fois, le danger que représente le monstre attitré agit de même ! D'un encombrant amphibien plutôt "pacifique", on passe à un maigre cannibale qui reste inoffensif tant qu'on jeûne et auquel Ofelia parvient en fin de compte à échapper... Pour arriver à l'Humain déchu par la guerre, corrompu par l'égoïsme et dénaturé par le sang versé... le plus mortel des trois ogres, qui rattrapera la jeune fille...
Mais revenons à Guillermo.
Pendant que la Synema digressait, l'angoissante vision en avait profité pour s'évanouir. Cela faisait déjà un certain Temps, pourtant, que notre voyageur avait une étrange sensation de flottement. Et pour cause ! La gigantesque pièce de cristal ne se comportait plus comme une pièce usuelle : elle tanguait légèrement. La réalité était-elle aussi un rêve éveillé ?
Et puis cela revint à son esprit : il comptait justement beaucoup travailler l'esthétique du long-métrage avec Guillermo Navarro, son directeur de la photographie régulier. Notamment en lui demandant de veiller à ce que l'image soit sans cesse mobile, ne serait-ce qu'imperceptiblement, même durant les plans fixes...
C'est dans cet objectif que ce dernier prendrait la décision de donner à la caméra de légers mouvements, afin qu'il y ait en permanence un déplacement à l'image.
Sans doute parce qu'il s'était souvenu de la raison d'être de cette métaphore, l'effet "paysage ondulant" s'était estompé. Guillermo avait déjà remarqué qu'au retour de chacune de ses visions, un élément du décor s'était effacé. Comme la carte d'Espagne sur le carrelage qui avait spectralement pâli depuis qu'il en avait compris la signification.
Il avait dû à présent interpréter tous les symboles prémonitoires, car la vaste chambre de lumière et de cristal n'était plus qu'un grand espace blanc. Seules la ligne d'horizon et quelques arêtes de mur vitreux venaient à peine contrarier la monochromie immaculée des lieux. La ligne d'horizon, quelques arêtes, et bien sûr l'entrée d'un nouveau tunnel, tout à l'autre bout, qui attendait. On pouvait difficilement le rater : dans ce clinquant clair éclat, c'était l'unique zone à être un peu plus... grise !
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