(Synema est une variété d'araignée qui n'a en commun avec notre sujet que le nom... et aussi le fait que le Septième Art est une immense toile, peuplée de nœuds dramatiques et d'émotions qui révèlent parfois les larmes... ces étranges rosées du matin. Ce n'est quand même pas le Web qui contredira tout cela !)
Chers lecteurs et chères lectrices de la Synema, en ce lieu vous attend l'ultime (séquence émotion) partie de l'article Fils de Synema 4, consacré à une analyse du sixième long-métrage de Guillermo Del Toro, Le Labyrinthe de Pan (2006), à l'origine trop vaste pour tenir dans son intégralité sur une seule page, "dans le même paysage"...
Ici n'est donc que l'une des "contrées" dudit "comté" contenant le même conte discontinu...
Prenez-le bien en compte !
La Synema vous recommande de commencer votre lecture par le Chapitre 8, mais vous pouvez aussi défier les conventions en... ah... c'est vrai : il n'y a pas de suite ! Cette fois, les conventions auront le dernier mot !
ésiterait-on à s'en douter ? Cette troisième galerie n'était pas très différente des deux précédentes ! Justement parce que, comme ces dernières, à son tour elle différait : d'abord, pendant plusieurs mètres, ses murs étaient tapissés d'un royal velours gris.
Mais à mesure qu'il avançait, Guillermo pouvait de plus en plus distinctement identifier sur les parois des reflets qui venaient peu à peu le rejoindre : chaque pas le rendait moins seul ! D'ailleurs, très vite, il y eut tellement de Guillermo, si près les uns des autres, que lui-même se surpris à douter d'être le vrai ou juste une copie de plus...
Le velours se métamorphosait donc petit à petit en miroir... Le plus déroutant étant le stade médian de cette évolution : lorsque les bords du tunnel tenaient autant du velours que de la glace, dans une fusion proposant une espèce de miroir à pelage ou une sorte de fourrure réfléchissante.
C'est au moment où cette transformation fut complète (rendant superflues toutes tergiversations quant à savoir si les murs étaient encore de velours ou en miroir), que Guillermo et ses reflets furent arrivés au niveau de l'Arche de Glace.
Le matériau mis à part, la configuration restait la même : cette arche aussi s'étalait lourdement d'un côté à l'autre du passage, en équilibre sur chacune de ses deux colonnes-miroir. Colonnes qui, étant cylindriques, offraient à notre héros un reflet d'un tout nouveau style... qu'on pourrait qualifier d'avant-gardiste (au moins !), ou simplement d'anamorphique.
Cette fois, l'inscription gravée le long de l'arche disait ceci : "Post-Production et Après... Le Film au Futur !".
Au centre, juste entre les deux piliers, défendant le vide (qui, évidemment, ne manquait pas d'interrompre la route, comme d'habitude), se tenait debout (mais à l'envers, encore !) une très grande clef aux surfaces de miroir, atteignant environ un mètre de haut et dont la silhouette rappelait vaguement à Guillermo la vasque du Roi Gris.
Sur le dessus de cette étrange simulacre, au bout des "dents" de la clef, était creusée comme une large fente, ouverte sur le plafond et perpendiculaire à l'axe du tunnel.
Notre réalisateur sortit de son sac le dernier cadenas qu'il lui restait : celui du Futur. Il le plaça face à lui, juste au-dessus de la grande clef, au niveau de la cannelure : les formes correspondaient. Il en déduisit que c'était le cadenas lui-même qui devait servir de clef dans cette clef qui servait de serrure.
Pourquoi pas... Guillermo n'était pas contre l'idée de révolutionner l'un ou l'autre concept, à l'occasion... Mais quelque chose importunait son sens de la logique : pourquoi le Cadenas du Futur arborait-il aussi sa propre serrure (en dehors du fait que ceci est tout à fait normal pour n'importe quel cadenas qui se respecte) ?
Guillermo ne tarda pas à en avoir l'explication : une fois le cadenas "immergé" dans "l'ouverture de la clef", un déclic retentit, comme s'il venait d'être chevillé par une deuxième clef plus petite cachée à l'intérieur de la grande.
Cela était certainement dû au cornélien tourment du Roi Gris, pris d'une soudaine crise d'hésitation aigüe, incapable de choisir si la clef devait aller dans le cadenas ou l'inverse... et qui au final s'était décidé à garder les deux options superposées... Ou alors, c'était pour honorer le concept de duplication et de mise en abyme : une clef dans une clef...
Il avait beau imaginer toutes ces explications, Guillermo n'en trouvait pas moins ce système bien alambiqué, juste pour déverrouiller un cadenas, fût-il du Futur !
Il fallait néanmoins reconnaître qu'on n'avait pas affaire à n'importe quelle mécanique : l'imprévisible processus qu'il déclenchait excusait ces petites "originalités".
C'est pourquoi, tout en empoignant l'"anse" du Cadenas d'argent pour le faire tourner sur lui-même, notre réalisateur ne put s'empêcher de se demander à quel nouveau et extravagant mode opératoire il aurait droit pour rejoindre l'autre rive... mode se devant cette fois, cela va de soi, d'illustrer subtilement le thème du Futur...
Le Futur ne se fit pas attendre : un ruissellement de cliquetis qui ressemblaient à des coups sur du verre poli devint bientôt un déversement, puis un flot. Le niveau cascade fut atteint aux deux tiers de tour, avec les premières fissures redécorant la grande clef et le cadenas.
Les craquelures s'y frayèrent une marée de sillons qui les recouvrit en dessinant un enchevêtrement de squelettiques ombres qui se bousculaient, comme si un cocon de griffes se refermait sur eux.. ou alors qu'un voile de racines les recouvrait... L'image restait floue et l'incertitude permise...
Enfin survint la fameuse explosion qui envoya des myriades d'éclats argentés dans toutes les directions. Certains vinrent éclater une deuxième fois contre les murs-miroirs, sans oublier de les fissurer au passage, délivrant à chaque choc et d'un coup sec, de nouveaux fragments qui en crépitaient de joie. Ainsi se poursuivit la chaîne déchaînée.
Comme si l'intégralité du décor n'avait été qu'un reflet sur la glace, il se désagrégea tout autour de notre rêveur, s'éparpillant en torrents de miettes étoilées, dans un orchestre effréné. On aurait cru le monde entier fait de porcelaine et maintenant tombé en écume.
Cela aurait pu être particulièrement terrifiant si derrière ce panorama se révélait du néant. Mais il n'en était rien, car il n'y avait pas rien : la noble arche miroitante, ses deux colonnes et le bord du gouffre cédèrent leur place au paysage de l'autre côté du précipice, la suite du tunnel.
Par simple transformation des alentours, Guillermo était déjà sur la rive d'en face ! Il avait franchi l'abîme sans avoir eut à le franchir, sans même avoir dû bouger d'un pouce ! Une sorte d'ellipse temporelle l'avait transporté : le Futur était venu à Guillermo !
Cette drôle de transition travailla un certain moment son esprit : mélanger continuité et ellipse, réunir présent et futur dans un mouvement continu... Cela l'inspirait.
Pourquoi ne pas déguiser de la sorte la plupart des changements de scènes ?
C'est-à-dire en s'arrangeant pour passer de l'une à la suivante dans un même élan de caméra, feignant le plan-séquence. La "découpe" en tant que telle se ferait par un arbre au premier plan, balayant le décor en faveur de son successeur.
Non seulement cela accorderait aux arbres un rôle aussi primordial qu'extradiégétique (partageant le puissant pouvoir des pages que l'on tourne : faire avancer l'intrigue), mais, surtout, cela apporterait l'illusion d'une instantanéité, d'une évolution sans coupures. Ils en deviendraient ubiquitaires et omniscients (souvent statut de la Nature dans les mythologies).
Une fluidité qui renforcerait le réalisme de la narration, qui apparaîtrait inaltérable, car ininterrompue, tel le Temps qui en vérité ne souffre aucune pause...
Cela aurait aussi pour effet d'unir davantage les séquences entre elles : elles font partie de la même légende et se répondent les unes, les autres dans une danse où s'entremêlent causes et conséquences. Essentiellement en ce qui concerne les transitions entre les chapitres féériques et sombrement historiques qui, en réalité, ne formeraient qu'un.
C'était dit : dans Le Labyrinthe de Pan, nous aurions bientôt droit, pour exemple, à un mouvement latéral de caméra démarrant sur les soldats menés par l'odieux Capitaine à la poursuite des résistants, et se terminant sur Ofelia, dans la forêt, étudiant son Livre Magique, à l'aune de sa première épreuve ! Le tout, comme si nous nous trouvions dans un même espace, continu et contigü (c'est logique pour un conte).
C'est donc son sac vide mais la tête de plus en plus peuplée de grandes idées, que Guillermo continua sa progression jusqu'à parvenir dans la Chambre du Futur, tellement immense que le plafond se perdait dans la nuit. On voyait toujours les murs qui étaient d'un miroir similaire au tunnel qu'il venait de quitter.
De-ci de-là, il demeurait toutefois quelques bribes des anciens parages que le Cadenas du Futur avait émiettés. Pas encore entièrement disparues, elles prenaient le Temps de tomber plus sereinement, profitant de leur chute (après tout, elles n'en ont droit qu'à une seule). Telles des feuilles mortes, ces lambeaux plus lents à s'effacer flottaient dans la lumière grise. D'ailleurs, plus qu'à des feuilles, cela ressemblait à des papillons...
Ou à des fées...
Guillermo en était sûr : cet environnement qui se morcelle à la manière d'une image pixellisée sous le poids d'un lourd effet numérique ne pouvait signifier qu'une chose ! Son film se parerait d'effets spéciaux par ordinateur, en particulier pour les fées accompagnant Ofelia dans l'antre de l'Homme Pâle ou la racine de mandragore.
Mais pour un tel travail, il lui faudrait une compagnie spécialisée...
À laquelle pourrait-il faire appel ? Dans l'espoir d'une réponse, Guillermo happa au hasard et au vol un éclat qui chancelait dans les airs à sa hauteur. Il reconnut ce qui avait été un échantillon de l'angle supérieur gauche de son précédent champ visuel (son "panorama évanoui"). En inspectant le verso, il s'aperçut que ce lambeau était signé d'un copyright : "don de la Compagnie Cafe FX". Voilà donc ceux qu'il lui faudrait contacter ! Ils pourraient en plus lui offrir un point de vue artistique complémentaire en apportant leurs propres idées : par exemple en suggérant que les ailes des fées semblent des feuilles d'arbre (cela expliquait pourquoi le fragment que tenait Guillermo avait la forme d'une feuille).
Cependant, la rareté de ces bouts de décor révolu amena le réalisateur à en déduire que la majeure partie des effets spéciaux ne seraient pas obtenus informatiquement mais grâce à de savants maquillages et des animatroniques.
Plusieurs maquettes maquillées des monstres de son film (exposées plus loin dans cette gigantesque salle, comme dans un musée) lui donnèrent raison, comme il le constata alors qu'il passait devant. Elles ajoutèrent même une précision via une plaque incrustée dans leur piédestal : "don de la Société DDT Efectos Especiales".
C'est cette société qui serait en charge des effets spéciaux non numériques !
Guillermo remarqua néanmoins que l'une des créatures qui lui faisaient face était coupée en deux verticalement par un tesson de miroir qui voletait à son niveau, une moitié n'étant en fait que le reflet de l'autre. Il s'agissait d'un morceau de l'ancien paysage tournoyant dans les airs qui, au gré de sa danse, faisait tantôt apparaître tantôt disparaître ledit reflet.
Cela signifiait pour notre aventurier que la mandragore (puisque c'était effectivement d'elle qu'il s'agissait) partagerait donc son apparence entre animatronique et effets numériques, selon les scènes.
Parmi les monstres représentés, notre réalisateur parvint au niveau du Crapaud. Sous son ventre et sous sa peinture, Guillermo pouvait encore déchiffrer ce texte presque effacé : "The Maze (1953) de William Cameron Menzies". Il est vrai qu'on trouve un crapaud similaire dans cet autre film. Un batracien qui aura sans doute servi de base d'inspiration.
Un détail surprenant : chaque mouvement que faisait notre héros devant la créature était accompagné d'étranges vrombissements, venus du fin fond des entrailles de la bête, comme si cette dernière prenait un malin plaisir à surligner les gestes de Guillermo... Il ne pouvait pas bouger sans que l'amphibien émette un son singé censé "sur-bruiter" ses déplacements.
Alors comme ça, cette machine Crapaud-oïde lui invente des onomatopées exagérées ? Eh bien, puisque c'est ainsi, ce sera notre réalisateur en personne qui se chargera des bruitages du monstre, le tournage venu ! Voilà qui est bien fait !
Plus loin, aligné avec les autres constructions, paraissait attendre un fantôme : une large étoffe argentée réfléchissante recouvrait entièrement ce qui devait être une statue de presque deux mètres. Elle se tenait debout sur un socle affichant l'inscription suivante : "Libérez le Faune de ses reflets".
Notre explorateur ne vit pas tout de suite que le "rideau-miroir" qui ondulait sur la silhouette prisonnière était décoré d'une inscription brodée, ni que plusieurs cordes pendaient depuis le sommet de cet "œuvre" exposée.
Il était facile de deviner que l'une d'elles devait servir à débarrasser la forme de sa lourde cape ! Mais les autres ?
Ainsi, s'étalait sur le textile un texte de ce style :
"De quelle matière sera fait le costume du Faune ?" Guillermo avait déjà pensé au défi que représenterait un des costumes les plus complexes nécessité par son tournage. Et il était en mesure de fournir quelques idées. Mais comment répondre à un tissu ? Jamais il n'avait été confronté à ce genre de problème existentiel... Il faut dire que jamais aucun tissu ne s'était encore adressé à lui.
Sans vouloir lui être désagréable, Guillermo préféra d'abord l'ignorer et tirer sur un des cordages au hasard, en espérant qu'il révélerait la mystérieuse sculpture. C'est l'inverse qui se produisit : plus il tirait, plus un nœud au sommet se resserrait, et plus l'étoffe étouffait son otage.
C'est alors que notre héros fut interpellé par ce qui pendait à l'extrémité du filin qu'il avait dans la main : une étiquette. Une étiquette sur laquelle on pouvait lire "En verre pilé !". Les autres liens avaient aussi les leurs avec des inscriptions variées et assez décousues, telles que "En fer forgé", "En bois de baobab", "En mousse de latex", "En carton pâte", "En lamelles d'or fin", "En chocolat praliné", "En béton armé", "En pierre volcanique" ou encore "En un matériau totalement inconnu sur Terre".
La consigne du "jeu" s'éclaircissait : Guillermo eut à peine le loisir de se saisir de la corde correspondant à la réponse "En mousse de latex" que le grand drap glissa, laissant enfin entrevoir... un autre drap, attaché via de nouvelles cordes !
Sur celui-ci, une nouvelle question : "Combien de Temps prendra l'habillage quotidien de l'interprète du Faune ?".
Le réalisateur se doutait qu'un tel costume exigerait plus que quelques fractions de secondes pour être appliqué sur l'acteur (il put donc éliminer le premier câble et son étiquette), sans pour autant que cela ne dure plus longtemps que le tournage lui-même (un autre cordon de rejeté). "Cinq heures de maquillage quotidien" désigna le cordage que Guillermo choisit et qui fit tomber le second voile d'argent.
Il donnait à son tour sur un troisième qui voulait savoir en quel nombre d'exemplaires différents le costume avait été conçu.
Quand notre "candidat joueur" choisit l'attache associée à l'étiquette "Deux", un quatrième voile se présenta en dessous, s'enquérant quant à lui de la raison de cette décision.
"Parce que le Faune doit rajeunir au fur et à mesure de l'avancée du film" fut une corde relativement simple à trouver, la plupart des autres ne pouvant s'empêcher de faire appel à des doubles maléfiques, à des voyages temporels en boucle ou encore à des mondes parallèles, (ce que Guillermo appellera : "les théories des Cordes") !
L'une alla même jusqu'à suggérer que le deuxième costume servirait à remplacer le premier au cas où celui-ci déciderait soudainement de prendre vie et, persuadé d'être un vrai faune, de s'enfuir à la recherche d'un autre passage vers le Royaume Souterrain.
La cinquième couche de tissu se demandait quelles seraient les dernières parties du costume à être appliquées. La corde qu'ornait la carte "les cornes" était la plus accorte, il en était d'accord. D'un tir hardi mais ordonné, il fit en sorte que tombe le corsage raccordé audit cordage... une fois encore.
Une sixième couverture miroitée s'interrogeait, elle, quant à la justification d'un tel choix... et la sixième ceinture que tira Guillermo d'y répondre : "Les cornes masqueront les servomoteurs installés sur le dessus du crâne, destinés à faire bouger les oreilles et le museau du Faune et faire cligner ses yeux, à la commande des opérateurs de DDT Efectos Especiales qui les dirigeront à distance."
Le septième tissu s'intéressait à la méthode utilisée pour les jambes. Guillermo balaya assez vite les grelins reliés aux étiquettes faisant intervenir une amputation de l'acteur et des greffes de véritables jambes de Faune.
Il leur préféra "Via fond vert".
Effectivement, il visualisait plutôt bien le travail à faire : Doug Jones aurait les jambes revêtues de collants verts afin qu'elles soient effacées en post-production, pour laisser apparaître celles du Faune, qu'on avait placées juste derrière.
Le septième voile était le dernier : quand il tomba, il révéla une grande statue à l'effigie du Faune, légèrement courbé en avant, comme si son dos ne s'était pas encore tout à fait habitué à la liberté, et qu'un poids fantôme continuait de peser lourd sur ses épaules (après avoir supporté sept draps pendant si longtemps, ça peut se concevoir). Guillermo se plut à remarquer qu'il était normal d'avoir affaire à un fantôme, avec tous ces draps... Qui sait si ça les attire...
Existe-t-il quelque part, cachée dans un lointain idiome d'un monde reculé, la citation "il n'y a pas de draps sans fantôme" ?
Le Faune semblait le regarder en souriant, avec bienveillance, comme pour le remercier d'avoir dégagé son horizon et agrandi son ciel. S'il savait que Guillermo allait faire bien davantage : il lui donnerait bientôt vie !
Cette chambre était plus immense que jamais. Si on considère généralement les labyrinthes sinueux aux couloirs exigüs comme propices à l'égarement et à la perte de chemins, on sous-estime souvent les vastes espaces vides de tout. Au moins, dans un labyrinthe, des routes claires nous restent proposées.
Mais que faire quand on se retrouve en un lieu où on ne différencie plus un sentier de ses bordures et encore moins de ses voisins ?
Guillermo n'avait d'autres choix que d'avancer à l'aveuglette, avec pour seul repère la statue du Faune qu'il laissait derrière lui et qui rapetissait de plus en plus à l'horizon, jusqu'à se faire engloutir par lui.
Soudain, une sourde et étrange complainte s'échappa du lointain, fondue dans le silence, comme un souffle craintif. Intrigué, notre héros chercha la source de cette musique qu'il avait la sensation de connaître alors qu'il ne l'avait jamais entendue. Il aurait presque pu deviner certains accords et les entonner avant qu'ils ne retentissent ! En tout cas, sa voix l'en démangeait. Pourtant, il en était sûr : c'était la première fois qu'un tel air venait s'échouer sur ses oreilles !
Mais la mélodie s'interrompit soudain quand il essaya de s'en approcher. Elle ne résonna à nouveau que lorsqu'il revint en arrière.
Se devait-il de rester, là, sur place ? Pour toutes les directions vers lesquelles il faisait un pas, les accords cessaient. Toutes ? Non : en faisant attention de bien marcher dans l'une d'elles en particulier, la mélopée demeurait... Puis s'estompait. Un pas dans chaque sens, de nouveau, il retenta, et le chant de nouveau retentît... Et ainsi de suite...
L'hymne traçait le chemin !
Guillermo était bel et bien toujours dans un labyrinthe, mais un labyrinthe invisible : un labyrinthe sonore ! Aux couloirs phonétiques.
Il lui fallait juste faire en sorte de continuellement ouïr cette désarmante cantilène, malgré les virages et détours que ce sentier musical lui faisait prendre.
Parfois, une orchestration complètement hors-sujet prenait la place : le réalisateur comprenait à ce moment qu'il avait pris un mauvais "couloir" et qu'il fallait revenir en arrière pour rester sur la bonne voie (ou "sur la bonne voix"... il fallait le préciser : le cas de le dire ne se reproduira peut-être pas de sitôt).
Quand il entendait une particulièrement monstrueuse cacophonie, il savait se trouver dans une impasse et il n'insistait pas (pour ses oreilles, cela valait mieux).
Plus il l'écoutait, plus il devinait que cette musique, entièrement structurée sur une berceuse, devait être celle que lui proposerait Javier Navarrete, à qui il comptait justement faire appel en tant que compositeur.
À un détour, il aperçut par terre une carte de visite qu'il n'aurait remarquée s'il n'avait pas été amené à passer par là. Sur le verso se trouvait imprimée une photographie de l'Orchestre Philharmonique de Prague, où la bande originale de son film serait enregistrée.
Cette carte était au nom de "Mario Klemens", celui qui dirigerait alors l'orchestre : .
Au bout de plusieurs accords, le chant enchanté prit définitivement fin. Il avait guidé Guillermo jusqu'à un panneau en argent. C'était une bien étrange pancarte car absolument rien n'était inscrit dessus. Cette bizarrerie fut un fort atout pour l'écriteau, lui octroyant l'intérêt de notre homme pour au moins un petit nombre de secondes, le Temps de s'en faire la remarque... avant qu'il ne soit trop vite complètement obnubilé, ébloui par quelque chose de beaucoup plus remarquable et stupéfiant sis juste derrière : une colossale porte, faite à la fois de bois vermoulu, de cristal scintillant et de velours aussi réfléchissant qu'un miroir. Sur toute la hauteur de l'imposant huis s'étendait une gigantesque affiche : l'affiche officielle du Labyrinthe de Pan !
Avant de franchir ce qui devait être la dernière grande porte de son infatigable odyssée, notre héros se retourna pour contempler l'invisible dédale... paradoxalement ! Il ne l'était plus ! Le tortueux chemin emprunté s'était recouvert d'un tracé formant un immense dessin au sol : il ressemblait aussi à une affiche du film signée par Drew Struzan.
Guillermo en déduisit que cela avait dû être une version non retenue, mais réservée ensuite à la pochette de l'album contenant la bande originale. Un album édité par le label Milan, le 19 Décembre 2006 (si Guillermo pouvait être aussi précis, c'est parce que cela était "écrit" au bas du croquis).
Voilà pourquoi son parcours comprenait autant de virages, parfois si serrés : il formait une reproduction géante dudit dessin. Guillermo en avait "délinéé" les contours, légende comprise, rien qu'en suivant sa musique !
Le fait de tourner le dos à la Grande Porte lui offrit également un autre avantage : comprendre ce que voulait dire le fameux petit panneau d'argent qui semblait vierge. Il avait maintenant la clef de décodage pour déchiffrer le mystérieux message secret qu'il gardait, jalousement caché : le texte était juste rédigé sur l'autre face !
Comme s'il s'adressait à ceux qui venaient d'entrer par ladite Grande Porte.
Guillermo pouvait y lire : "La musique du Labyrinthe de Pan sera nommée à la soixante-dix-neuvième cérémonie des Oscars et à la cinquantième des Grammy Awards.
En 2007, elle remportera le Prix Ariel, récompense du Cinéma Mexicain !"
Eh oui : c'est en partie par cette information que la Synema avait entamé son long article dédié au sixième film de Guillermo Del Toro !
Ainsi, la boucle était bouclée !
Ce qui explique pourquoi le panneau était "à l'envers" : il comporte bel et bien un morceau de l'introduction... pour ceux qui entreraient par la sortie !
Le moment était venu : notre héros, notre guide dans cette grande épopée se tenait maintenant debout devant la Grande Porte de bois, de verre cristalin et de miroir. La porte où convergeaient Passé, Présent et Futur, réunis pour une même œuvre, réunis dans un même accomplissement, réunis dans une même naissance ! La Sortie du Sixième Labyrinthe de Guillermo Del Toro.
Au-delà de ce passage, c'est la Réalité, c'est l'Histoire !
Au-delà de ce passage, il lui restera à commencer sa véritable aventure : écrire son scénario, trouver les financements, le matériel et les lieux, rassembler son équipe, répéter avec ses acteurs et actrices, superviser l'aménagement des décors comme la confection des costumes, lancer le tournage de son film, réécrire, retourner, monter, promouvoir, accompagner, distribuer, défendre, vaincre, remercier, être applaudi, faire rêver, inspirer, continuer et recommencer...!
Au-delà de ce passage, il n'y a plus de couloirs en bois vermoulu, en cristal ou en miroir, ni même de Cadenas Magiques.
Quant au Sonneur de l'Horloge, il n'existe plus, le Sorcier Dê-Jha s'endort dans le néant, Pérenne la Bonne Fée s'envole dans un rayon de lumière et le Roi Gris s'évanouit dans un reflet !
Au-delà de ce passage, la métaphore s'estompe, le labyrinthe s'enfuit dans un mirage et notre conte s'achève : la Grande Porte bientôt va s'ouvrir alors que se referme la folle légende inventée par la Synema le Temps d'un article, au sujet de l'extraordinaire excursion de Guillermo au Pays du Passé, du Présent et du Futur !
Au-delà de ce passage, Guillermo redevient Guillermo Del Toro ! Au-delà de ce passage, Le Labyrinthe de Pan existe !
THE END
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