(Synema est une variété d'araignée qui n'a en commun avec notre sujet que le nom... et aussi le fait que le Septième Art est une immense toile, peuplée de nœuds dramatiques et d'émotions qui révèlent parfois les larmes... ces étranges rosées du matin. Ce n'est pas le Web qui contredira tout cela !)
Oyez, oyez, ami(e)s de Synema ! J’ai une annonce importante à vous faire :
Dix articles déjà ! La Synema est vieille de dix articles ! Toute fière qu’elle puisse l’être, elle n’est pas la seule : il y a un homme, un artiste, beaucoup plus illustre et prestigieux, qui vient lui aussi de signer sa dixième toile, d’allumer sa dixième étoile… de souffler sa dixième bougie plantée au sommet de sa carrière, entre les cerises et la crème !
Cet homme porte le conte en lui ! Un réalisateur qui a accroché son nom au genre même du "film de monstres poétique", il y a déjà bien longtemps !
Il arrive que le fil de la réalité et celui de la fiction s’emmêlent et s’entremêlent dans d’inextricables toiles, fusionnant ainsi en une "tresse" : celle d’un destin tellement hors du commun qu’on le croirait improbable, mais qui reste pourtant impassiblement véridique !
C’est donc naturel qu’un conteur, créateur de mythes, devienne parfois le véritable héros légendaire !
Alors, installez-vous confortablement au coin du feu et écoutez l’histoire du jeune prodige qui devra traverser les labyrinthes fous qui se dresseront sur sa route, entortillant son horizon et faisant vriller ses boussoles ! Une histoire emplie de merveilles, de monstres, d’ombres, d’envols, de personnages hantés par leurs faiblesses, de rouages étincelants, de mécanique luisante et (pour plaire à la Synema)… de moult insectes !
Il y a tant de façons de voyager… et tant de manières de se perdre dans les plus vertigineux dédales ! Alors, perdons-nous en ces contrées virevoltantes aux côtés de nôtre héros : Guillermo Del Toro !
Tout commence, il y a de cela bien longtemps, au centre d’un immense labyrinthe : le Mexique…
Il était une fois un royaume nommé Guadalajara. Ce fut en cette lointaine contrée que (sans doute par une belle, profonde et ténébreuse nuit), le 9 Octobre 1964, une famille vint de s’agrandir d’un nouveau cri : celui de Guillermo Del Toro Gomez, second fils de Guadalupe Gomez et de Federico Del Toro.
Certainement monopolisé par les requêtes d’un quelconque roi du moment (requêtes qui lui auront valu la chance de gagner une fortune conséquente à la loterie qu'il pu investir dans la création d'un empire de concession automobile), Federico dût confier l’éducation de Guillermo à sa grand-mère. C’est avec elle et dans des traditions catholiques étouffantes que le jeune garçon passera son enfance.
Si cette histoire que la Synema vous conte avait porté sur cette grand-mère, il serait fort probable qu’un retournement de situation soudain nous révèle qu’elle était en réalité l’incarnation de Piper Laurie, de Carrie au Bal du Diable (1976), échappée de son film, ou alors un vampire. C’est en tout cas ainsi que la décrira, bine plus tard, le jeune enfant, lors d’un entretien de Janvier 2007.
Elle était une femme dont la vie même pourrait ressembler à une longue messe, une longue procession fuyant le pêcher qui suivait, juste derrière, ou encore à une longue cérémonie de superstitions… Elle oscillait entre la marraine bonne-fée, la mère-grand avec sa galette et la sorcière souterraine. Comme il était de rigueur pour les femmes dans les pratiques du Mexique à cette époque (alias, les années 1960), elle portait sur son ventre, telle une amulette, un scarabée vivant attaché à une chaîne. Le voir remonter sur son corps terrifiait le jeune petit-fils.
Mais notre histoire concerne Guillermo. Et pour l’instant, il se terre dans sa chambre aux murs tapissés d'images d'extraterrestres et de monstres, ou dans le monde fantastique qu'il s'était construit en ce majestueux manoir familial, ou encore dans le premier abri venu, suffisamment intime, pour dessiner des êtres étranges comme horribles, tombés de son imagination. Il doit être prudent et éviter que sa grand-mère ne découvre son jardin secret. Hélas, rien n’échappe aux fidèles de la Superstition et de la Paranoïa : ce n’était qu’inévitable qu’elle trouve ces croquis de croque-mitaines emportant dans leurs crocs les enfants des croquants. Le soir même, elle tentait de l’exorciser, afin de l’arracher à cette attraction morbide pour la fantaisie et les créatures à ne pas créer. Une autre fois, encore, elle recommença, sans plus de succès qu’auparavant.
Ce ne furent pas les seules confrontations entre le pauvre Guillermo et l’hexakosioïhexekontahexaphobie : sa grand-mère lui demandait souvent de se mortifier, par exemple en plaçant des capsules de métal dans ses chaussures, si bien que le garçon arrivait à l’école les pieds en sang. Elle continua ainsi jusqu'à ce que la mère de Guillermo ne découvrit ses chaussettes rougies.
Ces cruels traitements ne firent qu'encourager le pauvre enfant à se chercher d'autres refuges, ailleurs, plus profonds...
Une nuit, alors que toute la maisonnée se laissait noyer de sommeil, le garçon remua dans son lit. Soudain, ses yeux s'ouvrirent : une lueur spectrale et déséquilibrée percée de deux étoiles de sang en guise de pupilles, le dévisageait. L'obscurité l'éblouissait étrangement, mais il pouvait ressentir remuer le silence et le néant, autour de lui. Des bosses venaient sans doute d'apparaître sur ses murs, comme des sangsues mordillant le papier peint.
Il avait très peur, car même s'il avait beau connaître la nature de ces intrus, il n'en avait jamais vu de si près : ils en devenaient terrifiants.
Alors, il leur promit de ne pas les oublier et de toujours leur donner vie dans ses œuvres. Les visiteurs parurent s'adoucir. Comme il se sentait mal, il leur imposa une unique condition à son "pacte" : le laisser aller dans la salle-de-bain pour se calmer. Tout en s'écartant légèrement pour lui tracer un chemin, les créatures venaient de sceller leur contrat.
A cet instant, Guillermo se réveilla. Angoissé, certes, mais heureux ! Car - il en était persuadé - il venait de trouver ses plus proches amis et confidents pour toute sa vie !
Voilà comment il créa sa propre "Sainte Trinité" ténébreuse.
La nuit, dans la clairière de rêves éveillés, ses "terrifiants" consolateurs "difformes" lui apparaissaient littéralement, tels des errants en exil, attirés par des yeux qui pouvaient les voir, les plaindre ou les comprendre.
Quand il ne "dormait" pas, ses amis secrets n'étaient pas loin : au Mexique, dans les années 1970 et 1980, passaient de nombreuses émissions à la télévision où grouillaient loups-garou, envahisseurs de l'Espace et vampires, que de chevaleresques modèles de courage, bombés de muscles à ras-bord contrecarraient (souvent joué par El Santo, un acteur en vogue), sans parler de la série Space Monsters (Space Giants, aux Etats-Unis).
Quand venait Noël, ses souhaits ne parlaient ni de bonbons, ni de jouets, mais de racines de mandragore dont il avait besoin pour des rituels de magie noire.
Quant à ses animaux de compagnie, il ressemblaient davantage à des rats, des corneilles ou des serpents, qu'à des chiens ou des chats !
Un beau jour, il terrorisa même sa sœur de dix ans, Susana, grimé en monstre. Le même jour, sa mère le terrifia d'une sévère punition.
Vers ses onze ans, il s'inscrivit à l’Instituto de Ciencias, malgré le désir de son père qu’il le rejoigne dans son négoce de location automobile…
Ému par la puissante passion affirmée de son enfant, il n’insista pas et ce fut avec sa bénédiction que Guillermo se défricha un passage pour l’Institut des Sciences, l'IDEC, un collège jésuite de la capitale de Jalisco.
Car, même les monstres ont une anatomie qu’il faut analyser. Après tout, se disait-il, le spiritisme est peut-être une branche cachée, secrète des sciences. En effet, ne parle-t-on pas de « sciences occultes » ? S’il avait existé un proverbe répétant : « qui sait disséquer une grenouille sait disséquer une gargouille », cela serait quand même resté inutile pour convaincre Guillermo, car il l’était déjà… depuis toujours !
Alors qu’il poursuivait ses études, le jeune Guillermo, qui avait maintenant bien grandi, fit la rencontre d’un mystérieux personnage, amené à devenir son premier "maître" et "mentor".
Il ne s'agissait de nul autre que du Professeur Daniel Varela Acosta, le futur fondateur de la Universidad de Medios Audiovisuales.
L’étudiant était déjà bien considéré de son entourage et de ses professeurs et apparaissait souvent comme leur ami. Un ami qui apportait ses mythes et mystères avec lui. Certains de ses camarades répétaient que le premier conte que Guillermo avait connu de sa vie n’était autre que Dracula. Notre héros ne les laissait pas indifférents ! Avec ses compères, il s'amusait régulièrement à chercher les cafards les plus gros possibles, et se vantait souvent de ses dernières découvertes en entrant en classe. Il se dit encore qu'il en aurait déniché un de sept centimètres...
Mais Daniel Varela avait quelque chose d’autre que ses collègues… Il avait reconnu en lui un prodige, un élu. Afin de lui permettre d'accomplir sa destinée, il lui fit un extraordinaire don... Ce n’était pas une lampe, bien que cette curieuse boîte se nourrisse de lumière, et si génie il y avait, ce n’était pas en elle, mais dans les mains et l’âme de celui qui venait de la recevoir : une caméra Super-8, qui lui revenait déjà, tels un l’héritage, une orbe ou un artefact ancestral, .
La Caméra avait ainsi absorbé un peu de lui avec son avenir. Comme s'impose une prophétie, il comprit à quel art son destin était lié : jamais il n’abandonnerait le Cinéma… Tout comme jamais le Cinéma ne l’abandonnerait !
C’est ainsi qu’il devint le disciple de Daniel Varela. Cours après leçons, ce dernier lui apprit tout ce qu’il savait sur le langage cinématographique, sans se douter qu’il serait son premier directeur artistique.
A partir de là, quelques courts-métrages vont se réaliser… tels quelques vœux !
L’un d’entre eux narrera les turpitudes d’une pomme de terre tueuse en série aux ambitions de domination mondiale. Pour ce faire, assassiner les personnages joués par la mère et les frères de Del Toro, avant de sortir et de se faire écraser par une voiture, semblait être une étape incontournable !
Un jour, alors qu'il avait seize ans, son école reçut la visite d'une critique suisse de Cinéma, Anne Marie Meier, pour diriger un atelier de scénario. Elle fut impressionnée par son imagination et son grand pouvoir de représenter la réalité de façon fantastique.
Un an plus tard, au moyen de la caméra de son professeur et avec un camarade, Mariano Aparicio (futur photographe), il co-réalisa un de ses premiers courts-métrages : Nightmare 1 (Pesadilla 1).
Le scénario qu'il avait écrit stipulait qu'un monstre gélatineux surgissait des toilettes de leur école et se mettait à courir partout. Le résultat plut beaucoup à ses pairs, lors de sa projection dans un festival étudiant. Il paraîtrait qu'une copie de l'original existe encore, quelque part, au fin fond d'une caverne enchantée, peut-être... Qui sait ? Personne ne l'a jamais retrouvée, à ce jour !
Puis, dans la maison de sa grand-mère, il tourna Matilde, un film d"horreur empreint de dévotion catholique trop zélée, de surnaturel et de sinistres fissures dans les murs qui engloutissent une femme en fauteuil roulant, incarnée par sa mère Guadalupe.
Selon certains écrits qui ont survécu au Temps, il aurait eu travaillé, parallèlement, comme garçon de salle dans une institution psychiatrique… Une légende affirmait d’ailleurs que jours après jours, aux douze coups de midi, il lui arrivait de déjeuner dans une morgue, non loin de la clinique...
Ses années d'études laissèrent une marque indélébile dans sa signature. Pour lui, mais aussi pour ses camarades. Si, au hasard de vos voyages, vous vous retrouvez sur ces lieux emplis de mysticisme, recherchez donc ces inscriptions, témoignages de sa présence passée : « Guillermo del Toro Gómez, "Toro", "Torito" ou simplement "Mémo". Acteur inné, comédien naturel : le meilleur sculpteur de l'I&C. Cinéphile du cœur. Il a promu le cinéma auprès de ses camarades. »
Après le Professeur Valera, une autre rencontre devait influencer le destin du jeune homme. Dick Smith était, en ce Temps là, un expert en maquillages (ou bien : baumes magiques), dont l’expérience n’avait que de quoi impressionner le jeune novice : Little Big Man et L’Exorciste faisait notamment partie de ses légendaires exploits. Ce maître en la matière fut en charge de l’initiation du prometteur élève, aux arts "ciné-mystiques" !
Pendant près de dix grandes années, le jeune Guillermo suivit son guide et apprit de lui, souvent par la pratique au sein même de tournages, en tant que maquilleur et spécialiste en effets spéciaux.
A l’aube des années 1980, le jeune Guillermo décida qu’il était Temps d’enfin voler de ses propres ailes. Destinée à le soutenir dans sa quête, Necropia naquit : la première compagnie de notre héros, spécialisée dans les effets spéciaux, qu'il co-fonda avec un ami connu au lycée, éternel acolyte de travail, Rigoberto Mora !
Grâce à elle, il pourrait réaliser les effets spéciaux de diverses productions mexicaines, mais surtout ses propres courts-métrages ! Dans un conte, ce nombre revient souvent : ainsi, depuis ses premiers pas, le réalisateur a d'ores et déjà donné vie à dix petits films.
Malgré cela, peu d’entre eux nous sont parvenus jusqu’à aujourd’hui. En effet, ils ne furent pas (ré)édités.
A l’exception de deux : les deux derniers, Donã Lupe (1985) et Geometria (1987) restent les seuls encore disponibles.
En voici les légendes :
Doña Lupe témoigne du sort d’une vieille veuve, amenée à devoir sous-louer ses appartements à deux policiers falsifiés. Très vite, ils se révèlent des bandits, trafiquants d’insalubres substances (de "maléfiques potions", pour rester dans le conte) et les uniques alliées de la pauvre dame sera sa foi et la mémoire de son défunt mari, l’aventurier au noble sombrero, qui hante les ombres des lieux.
Cette bizarre "intrusion d’Hansel et Gretel chez la Sorcière aux Pains d’Épices" va très vite, en à peine trente-quatre minutes, dégénérer en carnage pas vraiment ce qu'il y a de plus appétissant.
Geometria (librement repris de la nouvelle Naturally de Frederick Brown), quant à lui, relate l’accidentelle damnation d’un jeune lycéen, las d’échouer aux examens de géométrie, qui va faire appel à un démon chevelu pour ne pas avoir à essuyer à nouveau une défaite aux rattrapages. Une méthode de triche extrême pour un résultat tout aussi extrême… et non dénué d’un certain humour de la part du démon, qui rappelle que les mathématiques ont des applications en toutes choses, y compris dans l’invocation des esprits !
Insatisfait, il en proposa une seconde version bercée par la musique de Christopher Drake (Batman Arkham...)
En ces œuvres fourmillaient d’ores et déjà ses hantises : monstres dans l’ombre, parfois même humains, fantômes salvateurs ou punisseurs, humains possédés -…par l’égoïsme !- , sang qui se tartine comme de la peinture (avec dérision), horreurs décalées dans un contexte inédit (l’invocation simplement pour un examen)…
Des visuels, comme des spectres, qui le poursuivraient "Œdipement", comme une bienveillante malédiction, un sortilège ami.
Il s’agissait à présent de son identité : ses films faisaient partie intégrante de sa famille. Preuve en était que sa propre mère jouait la protagoniste de Geometria, qui s’avérait être également la mère du malchanceux jeune apprenti-sorcier. Guillermo se retrouva être le frère d’un de ses propres personnages… Et ça ne s’arrêtait pas là : son père figurait aussi dans ce court-métrage de huit minutes !
Entre 1988 et 1989, aidé par Necropia, Guillermo apposa également son empreinte dans la série culte La Hora Marcada. Pour elle, il signa de sa plume manuscrite quatre épisodes (Invasión, Con Todo para Llevar, Caminos de Ayer et Hamburguesas), et de sa caméra cinq épisodes, aux côtés d’autres cinéastes mexicains, tel que Emmanuel Lubezki et… son nouveau compagnon de route : Alfonso Cuarón.
Sa "plume", justement, n’en est pas délaissée. Parmi les fées qui s’étaient jadis penchées sur son berceau, une lui avait offert aussi le talent de l’écriture nue, indépendante de tout outil et disponible pour l’inspiration à toute heure et à tout endroit, pourvu qu’il ait du papier et un crayon.
C’est pour cela que, durant son périples, dès l’étape ou à la première auberge venue, il s’arrêtait pour écrire…
Sans toutefois s’éloigner du Cinéma, car ce sont des articles pour des revues cinématographiques telles que "Sight and Sound" ou "Village Voice", et un livre sur Alfred Hitchcock qui fleurirent sous ses doigts !
Mais, encore et indéfiniment, le voyage l’appelait et la route n’admet aucune infidélité ! S’il ne reprenait pas sa mission instamment, il savait qu’il ne pourrait plus jamais repartir… Sa vie non plus, ne l’attendrait pas.
Des semaines et des mois passèrent, quand soudain, un coq chanta l’aurore de son vingt-et-unième anniversaire…
Mais, la suite de l'histoire, je vous la conterai la prochaine fois !...
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