top of page

Synemiettes 4.6 ~ "Le Labyrinthe de Pan" - Alice au Pan des Merveilles

Dernière mise à jour : 11 nov. 2022


(Synema est une variété d'araignée qui n'a en commun avec notre sujet que le nom... et aussi le fait que le Septième Art est une immense toile, peuplée de nœuds dramatiques et d'émotions qui révèlent parfois les larmes... ces étranges rosées du matin. Ce n'est pas le Web qui contredira tout cela !)



Chers lecteurs et chères lectrices de la Synema, en ce lieu vous attend une des dix parties de l'article Fils de Synema 4, consacré à une analyse du sixième long-métrage de Guillermo Del Toro, Le Labyrinthe de Pan (2006), à l'origine trop vaste pour tenir dans son intégralité sur une seule page, "dans le même paysage"...


Ici n'est donc que l'une des "contrées" dudit "comté" contenant le même conte discontinu...

Prenez-le bien en compte !



La Synema vous recommande de commencer votre lecture par le Chapitre 5, mais vous pouvez aussi défier les conventions en démarrant directement par le Chapitre 7 !





omme ses deux précédentes rencontres lui avaient également offert un objet magique en plus de leur Cadenas, Guillermo s'attendit à ce que le Roi fît de même. Mais il n'en fit rien.

"_Hélas ! Nous n'avons qu'une seule chose à t'offrir ! Et crois bien que nous en sommes le plus déshonoré, en tant que monarque du dédoublement ! Cependant, dans l'optique de contrecarrer cet affligeant désastre, nous avons pensé te soumettre une deuxième épreuve à la place ! Si elle n'a pas particulièrement à voir avec le Futur, l'urgence de notre sort tranche aussi bien la question que tu n'as tranché tes dix artéfacts !"


Chacune des deux moitiés de rois se retourna quelques secondes pour faire face à son pan de mur-miroir respectif.

Un Terrier de pierres...

"_Ton inspiration s'est désaltérée à bien des sources, et le flot qu'elle est devenue est d'une eau dont chaque goutte se pare de saveurs différentes. Et parmi toutes ces sources, il en est une qui ruisselle et vagabonde tout le long de ton futur film : tel un lointain reflet hantant un miroir déformant, ton oeuvre se tintera de nombreux échos au Pays des Merveilles et à l'illustre Alice. Tant qu'on pourrait presque croire à une secrète adaptation. Ta dernière épreuve sera de nous clamer en quoi !"

Il est vrai que le principe de "source d'inspiration" serait sans doute davantage le domaine du Passé que du Futur, mais Guillermo eut l'intuition qu'il ne serait pas pertinent d'en faire la remarque au Roi... Surtout lorsque celui-ci le dévisagea sévèrement, comme s'il avait pressenti la probabilité d'un tel outrage.

Il n'était pas utile de contrarier davantage le(s) monarque(s), autant se mettre sans attendre à l'ouvrage.


Le Labyrinthe de Pan est nourri d'un certain nombre de trésors littéraires, tels Le Grand Dieu Pan (Arthur Machen, 1894), Le Jardin de Pan (Algernon Blackwood, 1912), ou également The Blessing of Pan (Lord Dunsany, 1927) - pour compléter la "panoplie des Pan" -, et puis The White People (Arthur Machen, à nouveau, 1904), les Ficciones (Jorge Luís Borges, 1944), Les Livres de Sang (Clive Barker, 1984 à 1985), ainsi que Le Monde de Narnia (C.S. Lewis, 1950 à 1956), ou encore La Petite Fille aux Allumettes (Hans Christian Andersen, 1845), Le Magicien d'Oz (L. Frank Baum, 1900), mais aussi des trésors picturaux comprenant les œuvres de Francisco Goya et d'Arthur Rackham...


Couverture de l'édition de 1907.

De toutes ces influences, une se démarque par sa foisonnante présence : Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles de l'écrivain Anglais Lewis Carroll (dont Arthur Rackham fut justement l'un des plus illustres illustrateurs, aux côtés de Sir John Tenniel -évidemment- et Salvador Dalí...) !

De surcroît, dans la lignée de nombreux contes, la narration des livres d'Alice est structurée de façon quasiment "linéaire" en chapitres presque indépendants, qui s'enchaînent au fil des rencontres de l'héroïne. Or, c'est à peu près cette structure "en étapes" qui rythme le film intéressé... En tout cas, à travers les trois épreuves d'Ofelia.


C'est pourquoi, la Synema vous propose Aujourd'hui de citer plusieurs parallèles que l'on peut trouver entre le Pays des Merveilles et ce libre reflet.


Pour commencer, il nous faut quelqu'un qui puisse jouer le rôle d'Alice !


De préférence, une petite fille, curieuse et imaginative, qui sera notre guide dans l'histoire, évoluant surtout dans un univers féérique, bien que venant d'un monde "non-magique" avec les lois duquel elle est en décalage car trop sérieuses et adultes.


Cette rêveuse sera amenée à entrer dans une cavité souterraine semblable à un terrier, ce en suivant un insecte (qui n'est pas blanc : il faut bien rester un minimum subtil).

On pourra en plus la voir vêtue d'une belle robe à tablier blanc, s'apprêtant à s'aventurer dans un authentique terrier !


Alors, des idées de qui pourrait tenir ce rôle ?


Dans le livre, Alice n'est pas le seul personnage du "côté réel" : on la trouve en premier auprès de sa grande sœur. Membre de la famille "hiérarchiquement supérieur", l'aînée, la référente ou le modèle (familial).

Pour le Labyrinthe de Pan, on peut associer ce statut à la mère d'Ofelia qui, assez vite, s'effacera de l'intrigue pour ne revenir qu'à la toute fin (en tant que Reine du Monde Souterrain), un peu de la même manière que la sœur d'Alice qui n'apparaît qu'au tout début (pour le coup, elle s'efface beaucoup plus rapidement) et à la toute fin.


Cette dernière est l'unique personnage à être "comme Alice", de la même origine, du même monde. C'est également le cas pour Carmen, qui est la seule à venir du même passé que sa fille et à partager ses souvenirs... faisant d'elle l'unique témoin du parcours terrestre d'Ofelia d'avant le moulin.


Pour les dialogues, on ne sait pas, mais concernant les images, il y en a bien une dans le livre d'Ofelia qui nous est montré au tout début ! Une illustration... comment dire ?... "prémonitoire" ! À propos : ces cheveux lisses et longs... cette silhouette ne vous rappelle-t-elle pas quelqu'un ? Quelqu'un d'autre qu'Ofelia ?

Avec cette lecture, un détail se révèle ironique : alors qu'Alice s'ennuie auprès de sa sœur, lui reprochant de s'intéresser à un livre sans images ni dialogues, ici, c'est plutôt Carmen qui est ennuyée de la passion dévorante de sa fille pour tous les livres qu'elle dévore (c'est une autre version de la chaîne alimentaire) !


Une inversion digne des grands miroirs !

Vient maintenant le Lapin Blanc... et c'est là que ça commence à se corser ! Certes, l'insecte-fée que suit Ofelia est un des clins d’œil les plus flagrants. Surtout que cette créature revient régulièrement dans l'intrigue, comme un fil conducteur ("fil rouge" aurait aussi pu convenir, mais comme cette comparaison est à destination du Lapin Blanc... autant éviter les amalgames dont l'issue serait cousue de fil blanc).


Mais parmi les candidats, il y a aussi le pas du tout candide Capitaine Vidal (hélas pour le lagomorphe), qui est indéniablement introduit par sa montre à gousset qu'il surveille continuellement.

"Why, Mary-Ann, what are you doing out here ? Run home this moment, and fetch me a pair of gloves and a fan ! Quick, now !" ("Eh bien, Mary-Ann, que diable faites-vous là ? Filez tout de suite à la maison, et rapportez-moi une paire de gants et un éventail ! Allons, vite !"). Illustration par Arthur Rackham.

De plus, celui-ci est d'un statut hiérarchique important (sans être tout au sommet, tel le Lapin Blanc par rapport au Roi et à la Reine de Cœur) et s'entoure dans son "manoir-moulin" de plusieurs serviteurs et employées, notamment Mercedes.

Or le Lapin Blanc a également plusieurs domestiques à son service, dont la célèbre Mary-Ann qu'il confond avec Alice.

Quand on y pense, dans Le Labyrinthe de Pan, Mercedes et Ofelia partagent de nombreux points communs, ne serait-ce que physiquement (toutes deux sont minces et brunes, avec à peu près la même coiffure - Mercedes serait juste un "reflet plus âgé" d'Ofelia) ou de par leur statut (toutes deux ont un frère qu'elles aident et protègent, toutes deux sont perçues comme insignifiantes par l'horrible Capitaine Vidal, toutes deux finiront par le fuir et seront rattrapées, soit par ses hommes, soit par lui-même).

D'ailleurs, non seulement Mercedes et Ofelia entretiennent un lien fort, se comprenant et se soutenant l'une l'autre (Mercedes étant pour Ofelia une mère de substitution), mais Mercedes peut être vue comme l'héroïne de la moitié "réaliste" de l'intrigue, quand Ofelia est celle du côté merveilleux. Nous aurions donc plus ou moins affaire à un semblant de petit parallélisme avec le conte de Lewis Carroll où Mary-Ann est parfois considérée comme le "double" merveilleux d'Alice !


D'accord, on le voit souvent avec ses gants (par ailleurs assez peu blancs)... Mais il ne possède aucun éventail ! Bref, vous voyez bien qu'il ne serait pas un digne substitut au Lapin Blanc ! ...qui peut donc se rassurer !

Est-ce pour autant que le Capitaine Vidal serait le représentant du Lapin Blanc ? Non ! Car lui n'est pas en retard !

Au contraire : il va reprocher aux autres de l'être (ce que le Lapin Blanc répugnerait à faire) !

La liste des "similarités" entre ces deux différents personnages s'arrête donc assez vite ! Elle s'arrête encore plus promptement quand on essaie de connecter le Capitaine à la Duchesse, plutôt qu'au Lapin Blanc !


Croquis signé Arthur Rackham.

Elle aussi habite un manoir avec du personnel. Enfin, un personnel d'une seule personne... une vision très personnelle du personnel... parce qu'à part la Cuisinière, il n'y a plus personne (en fait, si : le Laquais-Grenouille) !

Certes, Mercedes peut cette fois être comparée à ladite Cuisinière. Cependant, les interactions de cette dernière avec Alice se résumant à lui envoyer du poivre et de la vaisselle à la figure, la métaphore risque assez tôt de tourner court !


Là où cette analogie deviendrait un peu plus pertinente, c'est à travers le personnage du bébé que la Duchesse s'égosille à bercer.


À voir comment elle le traite, finissant même par le lancer vers Alice, on peut en déduire qu'elle n'est pas une mère des plus prudentes ni des plus attentionnées. Et c'est pour le sauver d'une éducation qui s'annonce trop "acrobatique" qu'Alice quitte le manoir avec le nouveau-né à bout de bras, jusqu'au beau milieu d'une forêt labyrinthesque où elle va retrouver le Chat de Cheshire dont pas mal des répliques concerneront le nourrisson.


Arthur Rackham a encore signé !

Cela ne vous rappelle rien ? Même pas un tout petit peu ? C'est juste : contrairement au Capitaine Vidal, la Duchesse a confié (façon de parler) l'enfant à Alice qui n'a donc pas eu à le voler.


C'est juste aussi : contrairement à la Duchesse, le Capitaine Vidal poursuit Ofelia jusque dans le labyrinthe avec la ferme intention de récupérer son fils.


Enfin, c'est particulièrement juste également (et c'est sans doute par là qu'il fallait commencer) : contrairement à l'enfant de la Duchesse, le petit frère d'Ofelia ne se transforme pas en cochon !


Mais à part tout cela, il y a quelques similitudes, non ?

Dessin de July Coastal.

Par exemple, que pensez-vous du Faune dans le rôle du Chat de Cheshire : allié étrange, quelque peu facétieux et parfois inquiétant, ayant une conscience et une connaissance des choses plus grandes qu'il se garde de partager exhaustivement ou d'énoncer trop clairement... sans un minimum de mystère ?


Comme le Chat de Cheshire au museau musant du côté du Château de Cœur vers la fin du livre, le Faune réapparaît ultimement, dans le Palais Souterrain, auprès du Roi et de la Reine.


À peine tombée dans le Terrier, Alice ajoute au paysage du Couloir des Portes ses propres larmes, dans lesquelles elle finit également par tomber après avoir oublié une clef. Clef qui, d'ailleurs, lui aurait permis de franchir une toute petite porte.


C'est le Chapitre de La Mare aux Larmes, où elle va faire la connaissance de toute une foule d'animaux qui se sont laissé surprendre par sa pluie de larmes. Si on veut trouver une scène un tant soit peu similaire pour Ofelia, il suffit d'imaginer que le couloir en question, c'est le tunnel sous le Grand Arbre, que la boue où elle patauge fait office de "larmes", que les différentes bestioles qu'elle y croise, se référeraient (très) légèrement aux animaux et que le Crapaud pourrait partager l'un ou l'autre tout petit point commun avec la Souris (premier personnage de la Mare aux Larmes dont Alice fait la connaissance). Ne serait-ce qu'à cause de leur manière à tous deux d'accueillir leur visiteuse : sur le modèle du rongeur, le Crapaud ne répond pas à la jeune fille dont il semble se désintéresser (la Souris finira par parler à Alice mais après plusieurs tentatives de communication de celle-ci).

Bien qu'il faille l'avouer : même avec une certaine dose d'imagination, cela ne semble pas si évident que ça...

Illustration par Rene Aguilar.

Au moins, nous avons bien la clef et les quelques "gourmandises" qui font littéralement "changer de forme" à qui les mange (vu leurs effets, heureusement qu'il n'y a pas marqué "Mangez-Moi" sur ces morceaux d'ambre magique) !


Egalement, l'architecture étroite et bas de plafond de ce passage souterrain procure à Ofelia le même confort qu'Alice devenue trop immense dans le Couloir des Portes.

Ou inversement, c'est une référence à Alice d'une taille normale essayant de passer la toute petite porte. La longueur démesurée de la clef tendrait à confirmer que les échelles ont ici quelques soucis de synchronisation !

Cette séquence est peut-être aussi le reflet d'un autre Chapitre du livre de Lewis Carroll...



Après avoir laissé derrière elle la Maison du Lapin Blanc et alors qu'elle est toute petite, Alice fait la rencontre de la Chenille sur son champignon. Dans le film qui nous intéresse, Ofelia s'éloigne du Moulin pour tomber nez à nez avec le placide et indéplaçable Crapaud, aussi baveur que peu bavard, accroupi dans l'eau croupie (ou debout dans la boue, cela dépend comment on considère la station debout d'un quadrupède), se "prélassant" dans sa mélasse, baignant dans la même pourriture que sa nourriture : diverses et éparses larves d'insectes.


Que voilà une bien intéressante image en mouvement ! "En mouvement" parce qu'elle se trace "en direct". Mais aussi parce qu'elle retrace l'évolution d'une action (c'est normal de "re-tracer" si elle s'est déjà tracée une fois), telle une bande dessinée : Ofelia qui s'aventure dans le Terrier (en haut à gauche) et qui y "tombe" (au centre) jusqu'à rejoindre le Crapaud (en bas). Cette "bande dessinée" est une carte ! D'ailleurs, juste à côté, que ne voilà-t-il pas le plan du Labyrinthe du Faune ? Celui-ci est mis en symétrie par rapport au Terrier, comme si l'un était la duplication de l'autre : comme s'il s'agissait métaphoriquement du "même lieu"...
Tiens ? Ce ne semble pas être la coiffure d'Ofelia... Étrange... Cela signifierait-il qu'elle est en réalité inspirée d'une autre rêveuse ? Les représentations de la Princesse Moanna se sont accordées pour la faire ressembler à Alice, rendant l'hommage plus évident. C'est sûrement ainsi qu'était la Princesse avant sa fatale échappée... Voilà qui doit ramener Ofelia bien longtemps en arrière ! À propos de retour en arrière : aviez-vous remarqué que le labyrinthe ci-contre n'est pas résoluble ? Le centre n'est pas accessible depuis l'extérieur ! Ou alors, il faut être la réincarnation d'une Princesse venue d'un Royaume Souterrain !

Alice et le Grand Arbre.

Si, en tant que moisissure, les champignons évoquent souvent la décomposition et qu'on a bien en mémoire que les chenilles sont les larves des papillons, il y a bien un parallèle à déceler ici. Surtout que la Chenille aussi est assez peu loquace, économe en mots, passant le plus clair de son chapitre à dévisager Alice de façon absente... Un peu comme le Crapaud pour Ofelia.

De plus, dans le livre, l'entretien avec la Chenille aboutit sur un débat animé avec le Pigeon dont Alice dérange le nid perché dans un arbre, juste après avoir croqué "le mauvais côté du champignon". Le Pigeon prend d'ailleurs l'intruse pour un serpent.

Outre le fait que, dans les contes, crapauds et serpents ont souvent mauvaise réputation, le point commun entre les deux œuvres est surtout la présence importante d'un arbre qui deviendra momentanément un enjeu car étant un habitat à revendiquer. L'Arbre du Pigeon d'une part, le Grand Arbre de l'autre.

Encore Arthur Rackham a signé !

Après cette scène, Alice arrive bientôt devant le manoir de la Duchesse. Quant à Ofelia, elle retourne au Moulin qui, comme on l'a vu, peut être vaguement jumelé à la demeure de la Duchesse, où le Chat de Cheshire attend Alice de la même manière que le Faune attend Ofelia.


Nous en arrivons petit à petit au Chapitre du Thé ! Notons déjà la présence malheureuse de deux lièvres qui composent le bilan de chasse de deux civils (qui ne vont pas avoir une fin plus favorable non plus).


Mais parmi les éléments qui le plus pourraient être associés au septième chapitre des Aventures d'Alice au Pays des Merveilles, il y a effectivement les deux fameuses scènes de banquet dont la Synema vous a entretenu(e)s plus tôt... Surtout une, d'ailleurs : celle avec l'Homme Pâle.

Là, pas d'extravagant lièvre printanier ou d'amical fou au chapeau, mais un seul personnage dont le Loir pourrait le plus se rapprocher... et ce, seulement pour son statut de dormeur.


A signé encore Arthur Rackham !

Sinon, il y a bien une très longue table, couverte de nourriture pour bien plus d'une personne. Notons que l'absence de chaise confirme effectivement qu'ici, "il n'y a pas de place !". Par contre, il y a du vin !

Quand on pense que le Lièvre de Mars invitait Alice à se servir de vin alors qu'aucun pichet n'était sur la table, tandis que là, enfin, il y en a une carafe, mais personne pour inviter qui que ce soit à s'en verser un verre !


Pour ce qui est du thé, allez savoir s'il n'y en a pas une goutte ou deux cachées au fond des corbeilles à fruits ! Si c'est le cas, ça doit être un thé particulièrement rance, froid et imbuvable... À éviter.

Comme dans le livre, l'absurde imbibe cette scène : un plantureux festin, tout frais, comme juste "sorti du four", dressé sur une table au bout de laquelle se dresse (aussi) un unique convive pas très vivant, et surtout rachitiquement maigre ! Devant lui, gît une assiette qui ne contient aucun mets... sauf si on considère deux yeux globuleusement rouges comme un mets... C'est presque aussi absurde que d'avoir un loir dans une théière !

Certainement dans un esprit écologique, veillant à éviter tout gaspillage, la jeune princesse goûte deux grains de raisin (ce serait dommage de laisser pourrir toute cette nourriture ! Même si ça doit faire déjà plusieurs siècles qu'elle a été servie). Elle agit donc comme si elle s'installait et imposait sa présence à ce repas, alors qu'elle n'y avait pas été invitée (il faut avouer que le seul commensal des parages ne semble pas prompt à inviter qui que ce soit). C'est exactement ce que fait Alice quand elle décide de prendre part à une partie de thé sans en avoir demandé l'autorisation.


Vous avez remarqué ? Ofelia se retrouve encore face à un couloir en-dessous du niveau du sol (sauf si sa chambre est à l'étage... mais ça, le film ne nous le dit pas) : de nouveau une galerie souterraine dans laquelle on ne peut entrer que par une petite porte !

On peut rétorquer à cela que, pour Alice, c'était devenu une habitude : déjà auparavant, dans la maison du Lapin Blanc, elle avait bu le contenu d'une bouteille trouvée par là et par hasard. Les conséquences en ont d'ailleurs été de taille : de très grande taille... comme Alice !


Cela pourrait aussi être à cette séquence-là que l'affaire des raisins fait écho.


Il est amusant de constater qu'une des interventions les plus explicites du Temps dans "Le Labyrinthe de Pan" (via le Sablier) s'immisce précisément dans cette séquence presque calquée sur le "Chapitre du Thé" (tout est dans le "presque"), qui se trouve être l'un des principaux où l'idée de Temps est développée : c'est d'ailleurs dans ce passage que le Temps est personnifié.

C'est à se demander s'il n'y a pas écrit "Mangez-Moi" dessus (en vraiment tout petit, alors) ! Ce qui pourrait expliquer pourquoi la jeune fille s'en saisit : elle ne fait que poliment accéder à une humble doléance, afin de ne pas vexer le raisin.


En passant, relevons que, derrière "Mangez-moi", se tapit un ordre... auquel Ofelia obéit ! Qu'avons-nous dit, déjà, au sujet de la désobéissance, thème hantant toute cette histoire ?


Vous avez "vu" ? Même dans leur assiette, on a l'impression que ces yeux fixent Ofelia ! Mais au fait... Deux yeux ? Deux raisins ? Deux raisins en forme d'yeux ? Deux yeux à couleur de raisin ? Et si ça voulait dire qu'en croquant les grains, sans le savoir, Ofelia s'apprêtait à manger l'Homme Pâle ? C'est peut-être pour ça qu'il veut la manger en retour : légitime vengeance, quoi...

L'absurde du conte venait entre autres des répliques décalées des personnages, tenant des propos qui leur sont propres, mettant en exergue la difficulté voire l'absence totale de communication. Dans ce film, n'observons-nous pas aussi une communication qui s'annonce comme... peu évidente ?


Enfin, Alice quitte les lieux via une porte dans un arbre qui la ramène au Couloir des Portes où l'attend la clef qu'elle y avait laissée. Dans Le Labyrinthe de Pan, pas d'arbre-passerelle, mais un couloir (sans portes) et surtout des petites portes en bois qui s'ouvrent avec la longue clef démesurée ! Bref, à peu de choses près, on n'est pas loin du pratiquement... !

Nous en venons tout naturellement à un des éléments les plus primordiaux des contes : la royauté !

Signé Arthur Rackham encore a !

D'abord, avant de rencontrer le Roi et la Reine de Cœur, Alice se promène dans les magnifiques jardins du Château qui sont réputés pour être un labyrinthe ! C'est à cette occasion que la rêveuse fait la rencontre des Jardiniers artistement affairés à repeindre les plants de roses dont le rouge n'a pas résisté à l'éclosion.


Avis aux amateurs d'extrapolation : peut-on voir une allusion aux roses royales dans le pansement blanc du Capitaine Vidal -qui vient de s'opérer la joue-, lorsqu'il rougit sous l'effet du sang qui s'y répand ? À défaut d'incarner le Lapin Blanc ou la Duchesse, le Capitaine Vidal serait-il un rosier blanc ? Le doute est permis... Affaire à suivre... (comme le Lapin Blanc !)...


Sinon, il reste toujours la Rose Bleue de l'Immortalité ! Elle aussi fait preuve d'une certaine inventivité quant à sa couleur... inattendue (le rouge a toutefois été gardé pour le ciel qui en est peint... pardon : plein) !

Bien que dans le livre, le Roi et la Reine de Cœur soient plutôt hostiles envers Alice, ceux qui feraient leurs meilleurs "correspondants" du Labyrinthe semblent être tout bonnement le Roi et la Reine du Monde Souterrain. En tout cas, cela serait l'interprétation la plus "directe", les Époux de Cœur gouvernant également un monde souterrain !


Qui signé a encore déjà ?

Subséquemment, quand Ofelia se retrouve face à ses véritables parents, dans la salle des trônes, dominant une nombreuse assemblée, la configuration peut faire penser au Procès du Valet de Cœur (ici, le Faune ?), lorsqu'Alice est appelée à témoigner, devenant le centre d'attention.

Et puis, n'oublions pas que, au-delà du savant contrepoint amené dans le conte, il s'agit quand même du Roi et de la Reine "de Cœur".


Pour vous en convaincre, souvenez-vous de la scène où le Docteur Ferreiro prépare son remède pour la mère d'Ofelia alitée. Sa fille est juste à ses côtés. Visualisez-vous ? Revisualisez-vous ce qu'elles sont en train de faire ? Tout-à-fait : elles jouent aux cartes !

Il se peut aussi que ce soit des cartes de tarot, qui s'inscriraient dans le folklore fantastique qui fait le style de ce film.

Il se terre dans ce long-métrage encore bien d'autres allusions ! Que ce soit la présence du résistant bègue pouvant évoquer le Dodo (ou même le fait que Lewis Carroll lui-même souffrait de bégaiement, ce qui est d'ailleurs à l'origine du personnage du Dodo), ou encore l'horreur presque "absurde" de la guerre et du monde des adultes aux lois vides, mécaniques, déréglées...



Illustration par Erica Willey.

Cela étant, n'oublions surtout pas le deuxième volet des aventures d'Alice, cette fois à Travers le Miroir !

Si on cherche vraiment une équité de citations entre les deux romans, certains éléments du film peuvent laisser entrevoir à notre imagination quelques petites références - aussi - au Pays du Miroir... plus ou moins lointaines (ça, c'est ce qui s'appelle "mettre des gants", comme aurait pu le dire le Lapin Blanc !).


Tout d'abord, (si on y tient) on peut éventuellement rapprocher la mandragore des Fleurs parlantes que rencontre Alice. Il est en effet indéniable que nous avons affaire à une plante anthropomorphe et mouvante, comme lesdites fleurs.


Mais étant donné que la mandragore est une figure communément associée au fantastique et qui a toute sa place dans l'imagerie de ce long-métrage, il y a fort à parier que ce clin d’œil soit plus accidentel qu'autre chose !


Le cas est assez similaire concernant le train qu'Alice prend pour traverser plus rapidement la troisième case de l'Échiquier (et qui finit un peu par sortir de ses rails), et de même pour ce qui est du Moucheron qu'elle y rencontre.



Il est humainement possible d'assimiler le premier au train déraillé par les résistants et le deuxième aux fées-insectes. En tout cas, aucune loi naturelle ne s'y oppose. Avec un peu d'entraînement, tous les matins au petit-déjeuner, vous devriez finir par y arriver !


Là où un lien devient un petit peu plus pertinent, c'est au niveau de la fuite de Mercedes, rejointe par les hommes du Capitaine Vidal, qui la poursuivaient à cheval.

Elle ressemble à s'y méprendre (enfin... peut-être pas jusque là) à la scène du livre où Alice est trouvée par le Cavalier Rouge qui veut en faire sa prisonnière. À cet instant intervient le Cavalier Blanc pour la sauver et l'accompagner jusqu'à la lisière du bois.

Eh oui : il était immanquable que le schéma de deux armées s'affrontant nous ramène aux jeux d'échecs !

Même l'Homme Pâle applaudit la Princesse Moanna ! C'est le moins qu'il puisse faire après avoir voulu la manger !

Sans compter le carrelage dans l'antre de l'Homme Pâle : carreaux Blancs et Rouges !

N'est-ce pas bien pensé pour le décor d'une épreuve qui mettra Ofelia en échecs ?


Enfin, sur quoi donc se termine Alice de l'Autre Côté du Miroir et ce qu'elle y trouva ? Eh bien sur l'accomplissement d'Alice, comme de sa quête !

Parce qu'en tant que simple Pion, elle a atteint la Huitième Case, celle tout à l'autre bout de l'Échiquier, elle devient Reine ! Cela n'est-il pas ce qu'il se produit du côté d'Ofelia ? À quelques détails près ?


Le banquet organisé pour la Reine Alice (coiffée de sa couronne d'or) et les acclamations qui accueillent l'avènement de la Princesse Moanna (vêtue de rouge et d'or) devraient achever de vous convaincre des "merveilleuses" similitudes entres les deux chefs-d’œuvres !


Illustration par Emma Thrussel.

Toutefois, il faut le reconnaître : c'est davantage le Pays des Merveilles qui sommeille dans l'imaginaire du Labyrinthe de Pan, que le Pays du Miroir.

Bien que l'égalité soit frôlée par la fin : comme les deux opus se terminent à peu près pareillement, on ne s'étonnera pas que tous deux soient équitablement salués dans le concept final de superposition "monde réel" et monde "idyllique", alors qu'Ofelia "s'endort".



La Synema a dit "s'endort" ?

S'endort sans doutes...


Ou "se réveille" selon le côté depuis lequel on regarde, car, comme se demande si bien le Conteur :

"Qu'est notre vie, sinon un rêve ?"

Capture d'écran issue du long-métrage "Alice in Wonderland", réalisé par Nick Willing en 1999.

_"Merveilleux, noble héros ! Ainsi tu remportes notre deuxième défi ! Maintenant, va ! Telle Alice, le Lapin Blanc, suis ce couloir, marche droit devant toi, jusqu'à ce que les parois s'éloignent tant qu'elles se fondent dans les ombres lointaines. A partir de là, il n'y aura plus ni sens, ni direction ! Les Points Cardinaux se rejoindront et fusionneront pour former le chemin ultime : celui où l'on ne peut qu'avancer ! Les girouettes se déformeront pour n'indiquer qu'une route ! La Route que sera devenu l'Espace après s'être écrasé, recroquevillé sur lui-même ! Alors, inutile de te fier à la Flèche du Futur ! Quelle que soit la direction de tes pas, ce sera la bonne : ils te mèneront vers le Futur !"


Comme le Roi avait tendance à se répéter (déjà qu'il était une répétition de lui-même), Guillermo se surprit à avoir la concentration fuyante et divagante. Notamment, il ne pouvait s'empêcher de chercher le moindre mouvement de cil qui différerait d'une "moitié de monarque" à l'autre. C'était peine perdue : tout restait accordé à l'atome près !

Et si, chez l'un d'eux, une onde surgie d'un mouvement de lèvres venait à glisser le long de sa barbe incolore, celle d'en face s'habillait du même mouvement : ni plus ni moins que l'identique léger tremblement qui venait déranger le froid sommeil de ces longues mèches pendantes, semblant tomber des cieux.

Que pouvait voir chacun des deux côtés ? Cela devait procurer une étrange sensation que d'être condamné à faire éternellement face à son reflet de chair, de sang et de barbe, dont la voix se mêle à la sienne ! Et c'est justement parce que le Roi, ayant deux voix pour le prix d'une, parlait naturellement deux fois plus fort, que Guillermo était régulièrement réveillé de ses cogitations, à une fréquence d'environ un mot sur cinq.


"_Si tu avances suffisamment longtemps, tu parviendras en un lieu où tout sera obscurité ! Tu sauras que tu es arrivé au moment où, quelle que soit la direction de ton regard, tu ne verras plus rien... rien de rien ! C'est seulement à l'instant où plus rien ne sera autre que du rien, plus ténébreux que le néant le plus sombre - et pas avant - que tu t'arrêteras ! Après avoir vérifié qu'il t'était bel et bien impossible de distinguer quoi que ce soit, pas même le bout de tes pensées [oui, le Roi se répète beaucoup...], tu tendras la main devant toi pour pousser ce qui se révélera être une paroi juste devant toi, à précisément un bras de distance ! Tu franchiras cette "porte" pour te retrouver dans la Quatrième et Dernière Aile de ce Labyrinthe appelée "La Promenade de la Conclusion". Il te faudra l'arpenter jusqu'au seuil de la Grande Sortie, en déverrouillant les trois portails qui en sauvegardent l'accès : celui du Passé, celui du Présent et (mon préféré) celui du Futur ! Tu n'as besoin d'aucun autre guide que la saveur de la victoire promise et le chant de la fierté d'avoir tant accompli !"

Les deux morceaux de Roi se turent simultanément et redressèrent la tête. Eux qui pendant tout ce Temps avait fixé Guillermo ne lui prêtaient plus la moindre attention. Ils gardaient imperturbablement chacun des deux bords du grand couloir, comme deux impassibles piliers de portail.


Notre réalisateur laissa la Flèche du Futur plantée dans l'eau-miroir de la vasque, pour la principale raison qu'elle refusait qu'il en soit autrement. Sa place, son destin à elle était de jouer les "Épée dans l'Enclume" en attendant qu'un éventuel prochain roi d'Angleterre s'aventurât dans les parages.


Entre les deux "doubles-moitiés" du Roi Gris, Guillermo passa puis les dépassa (impassibles, mais pas impassables), sans boussole, sans tapellicule, sans rien d'autre pour le guider que la certitude qu'il était sur le bon chemin.



Comme le Roi du Futur l'avait prédit, il n'y eut bientôt pour seul paysage que des ténèbres. S'il ne sentait pas le sol sous ses pieds, notre rêveur aurait pu avoir un haut-le-cœur en croyant se rendre compte qu'il était sans doute au fin fond du vide de l'Espace !


Combien de Temps erra-t-il ? Combien de Temps s'interrogea-t-il s'il marchait bel et bien droit ou si, sans le vouloir, il n'avait pas pris plusieurs mauvais virages, fait de malencontreux détours ou tout simplement tourné en rond ? Combien de Temps se rassura-t-il ensuite, se souvenant que, quelle que soit la direction qu'il prenait, il n'avait jamais rien fait d'autre qu'avancer en ligne droite ? Combien de Temps s'amusa-t-il en remarquant que, lui qui s'intéressait à l'animation en 2D comme en 3D, il déambulait là dans un monde en 1D ? Combien de Temps se demanda-t-il qui pourrait bien pouvoir répondre à toutes ces questions ?

Qui le sait ?


Toujours est-il que soudain, il s'aperçut qu'il n'apercevait plus rien. Ni à sa droite, ni à sa gauche, ni derrière, ni devant... Ce qui était normal si toutes les directions s'étaient réunies en une seule ! Alors, comme le lui avait dit le Roi Gris, il tendit le bras, droit devant lui. Du bout de ses doigts, il sentit une paroi de pierre lisse et froide. Quand toute la paume de sa main se fut de tout son long posée contre ce mur, Guillermo poussa... Et la "Porte" s'ouvrit...






bottom of page