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Vivien Hatta-Néagoé

Fils de Synema 4 ~ "Le Labyrinthe de Pan" (Guillermo Del Toro), Le Labyrinthe derrière le Labyrinthe

Dernière mise à jour : 14 juin



(Synema est une variété d'araignée qui n'a à peu près en commun avec notre sujet que le nom... et aussi le fait que le Septième Art est une immense toile, peuplée de nœuds dramatiques et d'émotions qui révèlent parfois les larmes... ces étranges rosées du matin. Ce n'est pas le Web qui contredira tout cela !)


Amis et amies de la Synema, l’heure est venue de vous raconter une histoire...

Celle d’un homme assoiffé, d’une forteresse labyrinthique et de la coupe d’eau qu'elle garde en ses murs.

Asseyez-vous donc auprès de la cheminée, à l’orée du rêve ! Laissez vos yeux se bercer à son halo crépitant ! Laissez vos joues se confondre avec les reflets rouges et chauds du feu qui les caresse de son souffle... Et écoutez l’héroïque épopée du valeureux Guillermo face à son Sixième Labyrinthe !



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Loin, là-haut, à la Surface, demeure un étrange monde où la vie et la mémoire sont si frêles que la lumière du soleil suffit à les troubler. D'elles on ne retrouve plus que des échos dissous dans les chuchotements du vent clair.


Les cimetières y ont de bien drôles de formes : des forêts de secrets qui s’enroulent comme des labyrinthes autour de quelques êtres errants. Ces âmes passagères, qui se sont elles-mêmes baptisées "humains", sont condamnées à une existence trop courte pour trouver la sortie de leur interminable dédale... Du moins, elles sont vouées à ne jamais chercher dans la bonne direction !


Allongée à même le sol rocailleux, la tête posée sur une dernière pierre qui lui sert de dernier oreiller, une petite fille garde les yeux ouverts.


Comme pour caresser sa joue, ou réchauffer son visage, un clair filet de sang glisse sur son ombre, se mêlant à ses cheveux. Jamais sang ne fut si étincelant ! Comme s’il y avait un brasier en lui.


Tel un sentier qui naît puis se libère, le ruisseau rouge se faufile parmi les dalles et vient goutter au fond d’un étrange et vaste terrier de rocaille sculptée : il indique le chemin.


Dans ce sang, il y a le reflet de la Lune, si pâle, si pure, presque maternelle… Dans ce sang, il y a une délivrance, la route vers un Paradis qui attendait l’enfant. Dans ce sang, il y a tous ses jeunes rêves et ses jeunes histoires, qui n’ont jamais cessé d’être réels !

Dans ce sang, il y a Ofelia (la Princesse Moanna) !


Afin de la guider pour la ramener chez elle, en son véritable empire de magie et de paix, une berceuse mélancolique s’échappe de la nuit.

Ou serait-ce plutôt la voix de son âme, un écho divin, le chant de son souffle qu’aucun silence ne peut étouffer ? Ou alors n’est-ce qu’une consolante complainte pour l’aider à affronter, une dernière fois, l’obscurité si terrifiante ?

Une obscurité qu’Ofelia contemple, comme pour lui dire adieu, les yeux incroyablement ouverts, si grands, immenses, infinis


Alors que l’on se perd dans l’éclat de son œil qui envahit tout, une voix commence à nous raconter l’histoire d’un Royaume Souterrain, éclairé aux merveilles et parfumé de bonheur éternel, où vivait une jeune Princesse tombée sous le charme du monde "de la Surface"…



Hélas, lorsqu’elle s’y aventura, le soleil fut trop aveuglant pour elle, et c’est dans une trop vive lumière qu’elle oublia d’où elle venait et finit par mourir. Mais l’aveuglement n’eut pas raison de son âme, qui se réincarnerait bientôt quelque part dans le désert de la Surface.


C’est pour cela que le Roi, son père, fit construire plusieurs passages, entre les deux univers, en attendant son retour.

Tandis que le conteur narre cette légende, les couleurs du jour et de l’Espagne Franquiste emplissent peu à peu l’image, balayant par quelques fondus-enchaînés les vestiges épars de ces portails vers ce Royaume Enterré, discrets témoins de son existence.



Effectivement, Le Labyrinthe de Pan est un film-carrefour, où se rejoignent les deux côtés du Miroir : réalité et rêve.


Ofelia (Ivana Baquero) avec sa mère Carmen (Ariadna Gil).

D’ailleurs, en vous parlant des premiers plans du film et du narrateur, je ne vous ai pas tout dit : avant même que l’écran s’ouvre sur le visage d’Ofelia, scrutant le froid, quelques lignes de texte nous situaient l’histoire : la guerre d’Espagne, la résistance dans les maquis, la dérisoire cruauté du monde des hommes, où personne, personne, n’est vraiment chez lui !

Le film a pour cadre une forteresse de forêt (repaire idéal des contes) qui n’est rien d’autre qu’un cimetière vert. Contrairement à L’Échine du Diable (troisième réalisation de Guillermo Del Toro) où l’extérieur était montré le Temps d’une scène charnière, ici, nous sommes condamnés à un "huis-clos" total, un purgatoire feuillu définitivement interdit au reste de la réalité. Jamais rien n’en sortira ! Pourtant, l’Histoire reste bien présente, dans sa plus cruelle crudité, à travers les militaires et les résistants.


Tel est donc le décor sur lequel s'ouvre le sixième long-métrage de Guillermo Del Toro : Le Labyrinthe de Pan ! Sans conteste, il s’agit là d’une œuvre majeure et particulièrement sublime dans la carrière de l'artiste. Peut-être même peut-on parler d’œuvre majeure et particulièrement sublime, tout court…


Si ce film revêt les couleurs du conte, il en est de même de l'autre côté de la caméra : les aventures de Guillermo pour venir à bout de sa "sixième quête" comportent aussi leur lot de bravoure !



Notre récit commence en 2005, dans la Sierra de Guadarrama, où son équipe et lui avaient prévu le tournage... Reformulons plutôt ainsi : "où s'élevaient les remparts de son sixième labyrinthe" !


De l’autre côté de ce labyrinthe, l’attendait son chef-d’œuvre qui serait connu dès sa présentation au Festival de Cannes en 2006, sous le noble titre El Laberinto del Fauno, avant de traverser mondes et civilisations, quelquefois en changeant de nom : dans les versions Anglaises comme Françaises, on l’appellerait Le Labyrinthe de Pan (Pan’s Labyrinth), bien que Guillermo considérera ces traductions comme inexactes, son conte n’ayant rien à voir avec le dieu grec !


Un succès majeur devait saluer la naissance de ce film hispano-mexicain !

Pour le célébrer, de par le vaste monde afflueraient de prestigieux cadeaux : trois Oscars du Cinéma, le Prix Hugo du Meilleur Film, ou encore le Prix Ariel (récompense du Cinéma Mexicain) de la Musique pour Javier Navarrete !


Son intrigue, sise peu après la Guerre d’Espagne, allait retracer l’histoire d’une jeune fille, Ofelia (Ivana Baquero), désignée par un faune (Doug Jones) comme la réincarnation de la princesse d’un monde souterrain qu’elle ne pourrait regagner qu’en accomplissant trois épreuves. Tout cela tandis que Carmen, sa mère "humaine" (Ariadna Gil), attendrait un deuxième enfant et que son cruel beau-père, (voici la fameuse figure du parâtre ou de la marâtre, chère aux légendes) le capitaine Vidal, (Sergi López) traquerait la guérilla anti-franquiste de la région.



Mais, au moment où se passe notre récit, il n’en était encore rien : l’ambitieux Guillermo n’avait alors que son carnet de notes, une "mémoire de papier" remplie depuis vingt ans de « griffonnages d’idées, de dessins et d’éléments d’intrigue » attendant à l’abri de leur chrysalide cartonnée, qu’ils se transforment en "papillon aux ailes de pellicule"…



Parmi eux, se distinguait une première version du film, narrant une histoire d’amour entre une femme enceinte et un faune diaphane qui lui demanderait de sacrifier son enfant pour qu’ils puissent vivre éternellement ensemble.


Sur d’autres pages, de nouvelles pistes se dégageaient, comme celle d’inclure un conte de fées qu’Ofelia raconterait à son frère pas encore né et où un dragon nommé Varanium Silex garderait une montage cernée de ronces, au sommet de laquelle attendrait une rose bleue conférant l’immortalité. Mais les humains, choisissant d’éviter la douleur plutôt que de recevoir l’immortalité, seraient dissuadés par les ronces et le dragon.

Vous le savez, au final, seules la Rose Bleue, la montagne et les ronces étaient amenées à survivre à cette grande traversée du Sixième Labyrinthe !

Si le film vient de ses notes, alors d'où viennent-elles, ses notes ?

Laissez-moi revenir, bien en arrière, au tout commencement


À l’origine du concept du Labyrinthe de Pan, il y a surtout les souvenirs des rêves lucides de son enfance : toutes les nuits, quand Minuit retentissait, il semblait se réveiller et voir un faune sortir de derrière l’horloge de son grand-père !

Peut-être de l'incrédulité des autres devant son histoire naîtra son obsession à vouloir montrer ce faune aux yeux du plus grand nombre, rendant ainsi justice et vie à la créature qui hantait l’horloge de son aïeul.



Bien plus tard, Guillermo Del Toro racontera aussi comment la nécessité de faire ce genre de film lui est venue d’une tragédie et d’une date que l’Humanité aurait préféré ne jamais retenir : le 11 Septembre 2001.

Il décrira ce funeste jour en ces termes :

« Lorsque le 11 Septembre est arrivé, j’ai pleuré de peur pour la première fois dans ma vie d’adulte. Même quand mon père a été kidnappé, je n’ai pas pleuré. Mais là, j’ai senti que tout était à l’envers, j’avais l’impression qu’on avait retiré le sol de sous nos pieds. L’ordre, le système… D'un coup, tout a changé. Et c’est à ce moment-là que j’ai ressenti le besoin de faire un film qui parle de ces émotions. »



Tout ceci concerne les versions réelles, officielles et véridiques !

Cependant, la Synema, dans sa soif de romancer, se demande si elle ne pourrait pas, en l’honneur du héros Guillermo, transposer, imaginer, réinventer un peu ces passés à la manière d’un conte ? Après tout, elle sait tisser des toiles, coudre des sources, broder des univers…


C’est dit ! Voici donc une autre version, moins incontestable, de la naissance du Labyrinthe du Faune !




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