(Synema est une variété d'araignée qui n'a en commun avec notre sujet que le nom... et aussi le fait que le Septième Art est une immense toile, peuplée de nœuds dramatiques et d'émotions qui révèlent parfois les larmes... ces étranges rosées du matin. Ce n'est pas le Web qui contredira tout cela !)
...Ou plutôt : « Quels sont les films dont le générique nous réserve une effarante surprise : C’est aussi du Tim Burton ! ? »
Différence, marginalité, inversion des valeurs, destins hors-normes, animaux trop humains et humains pas assez comme les autres… En ces quelques mots se cache une infinité d’idées et de visions, Tim Burton peut en témoigner ! Celles-ci ont tellement enluminé ses caméras et ses pellicules qu’on serait en droit de se dire qu’il a épuisé ces sujets.
On pourrait aussi préférer le droit de se dire que ces thèmes le trahissent et qu'à partir du moment où un hère erre d’un air ahuri ou aérien sur une quelconque aire de quartier dérisoire, eh bien c’est du Burton !
C’est ce qu’on serait en droit de se dire… Pourtant, on ne le devrait pas : certains de ses films, en apparence d'un style différent, ne révèlent vraiment leur illustre signature que dans leur générique, nous laissant sur une surprise amusée : c'était donc de lui ! Bien sûr, en y repensant après le visionnage, on se dit que c’était évident, qu’on aurait pu le deviner…
Bref, Burton, c’est bien plus que du gothique nocturne, bouffonnant, sanglant ou sanglotant… Sa pâte peut revêtir bien des formes et des couleurs !
Tout commence donc par un générique ! Une longue séquence inhabitée, inanimée, faite de mouvements lents de caméra sous la houlette d’une musique Elfmanienne (enfin, presque toujours…), que ce soit au fond d’un cimetière en carton, dans l’espace avec des soucoupes volantes, dans les reflets clairs d’un lac ou sur une photocopieuse dupliquant à l’infini ce qu’il devrait y avoir d’unique : une œuvre d’art…
Un film de Tim Burton se reconnaît à son aurore avant l’horreur, afin que le spectateur oublie peu à peu la réalité d’où il vient et que le film la remplace ! Un sas de décompression, en quelque sorte...
Pour commencer, remontons jusqu'à 1985 : avant même Pee-Wee et son aventure cycliste, Tim Burton avait réalisé un moyen-métrage, The Jar (Le Bocal), dans le cadre de la série télévisée The New Alfred Hitchcock Presents : un artiste désinspiré découvre un bocal contenant une étrange mixture bleuâtre où macère ce qui semble être un tout aussi étrange cadavre. Une fascination naît en lui et il décide de l’exposer comme une de ses propres œuvres (usurpation de signature ? Big Eyes avant l’heure ?). Le public entre à son tour dans une pâmoison de plus en plus morbide…
Cadavre ? Morbide ? Art ? C’est un bon début… Les ingrédients, même en petites quantités, sont bien tous là !
Hommage attendri à un double moins chanceux que lui, le septième film de Tim Burton, Ed Wood, est également son premier film biographique.
Alors qu'il a fini la production de L’Étrange Noël de Monsieur Jack (bien qu’Henry Selick en soit le réalisateur attitré, notre auteur l’a supervisé de tellement près dans tous les domaines de sa confection, que cela en ferait de lui le co-réalisateur, même s’il n’y est pas crédité en tant que tel), il s'atèle à celle de Cabin Boy (avec Denise DiNovi, jusqu’alors sa productrice coutumière), toujours pour les studios Disney. Malheureusement, cette revisite trop "superficielle" de la série Sinbad ne rencontre aucun succès.
En parallèle, Scott Alexander et Larry Karaszewski, deux scénaristes prodiges de ses amis, se mettent en tête de concrétiser un rêve d’étudiants qu’ils avaient déjà essayé de matérialiser, notamment sous la forme d’un documentaire, The Man in the Angora Sweater.
Cela en était resté au stade d'un projet proposé par Alexander en deuxième année d’Université, tandis que son acolyte pensait que « personne sur Terre ne ferait ou voudrait faire ce film car ce n’est pas le genre de film qui se fait ». Pour cause, il s’agit de l’histoire du « pire réalisateur de tous les temps » !
Ceci dit, il se pourrait bien que Michael Lehman, qu’ils ont connu à l’Université, finisse par réaliser leur scénario, Denise Di Novi et Tim Burton en étant les producteurs.
De son côté, poussé par son éternelle soif du dédoublement, ce dernier prend en charge une relecture de L’Étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde, intitulée Mary Reilly, avec Winona Ryder dans le rôle titre. L’idée de la retrouver après tous les Beetlejuice et autres Edward Scissorhands qu’ils ont vécus ensemble l’a certainement motivé, car c’est au moment où Columbia Pictures décide de la remplacer par Julia Roberts que Tim Burton abandonne ce projet.
Il n’est pas le seul dans ce cas : Michael Lehman doit aussi quitter le sien après avoir été finalement engagé sur Airheads et le film Ed Wood risque bien de devenir orphelin avant même de naître…
À cette époque, notre réalisateur travaillait sur un livre, making-of de L’Étrange Noël de Monsieur Jack, et il avait trouvé un exil à Poughkeepsie, pour ses "méditations". Or c’est dans cette localité de l’État de New York qu’est né Edward Wood Jr. en 1924. Poussé par la curiosité, ou bien par la muse du Cinéma, il en profita pour s’y promener. De découvertes en découvertes, de prises de notes en prises de notes, le charme opéra si bien que le cinéaste s’intéressa à la biographie officielle d’Ed Wood écrite par Rudolph Grey, dont le titre est tout aussi "cauchemardesque" : après Nightmare Before Christmas, voici que Burton s’attaque à Nightmare of Ecstasy !
La carrière de ce drôle d’homme a tout pour plaire à notre réalisateur : c’est un marginal, un "honni" des studios d’Hollywood, une ombre qui glisse mal sur les globes terrestres dorés ou les grandes affiches des grands classiques emplis de grands visages. Malgré ses efforts pour rappeler sa présence dans l’industrie du Septième Art, il reste un banni des succès qui regarde de loin son modèle Orson Welles vivre ce qu’il ne vit pas, être ce qu’il n’est pas : un phare du Cinéma !
Également, le penchant du personnage pour le travestissement introduit un second thème : le dédoublement, la "double-vie", bien que celle-ci ne soit pas utilisée pour combattre le crime en cachant une véritable identité ! Enfin, Hollywood se veut de paillettes et d’applaudissements, dissimulant l’envers du décor parfois en trop mauvais état pour le public rêveur. L’intimité des studios, dévoilée jusque dans ses erreurs et ses faiblesses, c’est comme une fière statue victorieuse embrassant la gloire que l’on voit de dos ou bien la tête retournée : elle perd beaucoup de sa majesté ! Le renversement des valeurs, où le superbe se révèle boiteux, où le miséreux se redresse en héros, voilà un autre thème que Tim Burton savoure !
Mais son intérêt pour ce projet s’explique aussi autrement : non seulement les films de Wood ont beaucoup marqué son enfance, mais bien des similitudes rapprochent les deux hommes : Ed Wood, l’incompris optimiste à l’esprit foisonnant de films d’horreur de séries proches du Z, est très vite apparu à ses yeux comme un reflet moins heureux, sorti d’un miroir maladroitement poncé ! Comme lui, Wood a pu rencontrer son idole : l'acteur Béla Lugosi serait en quelque sorte son "Vincent Price" à lui. Et si Monsieur Price tire sa révérence dans un des films de son grand admirateur Burton (Edward aux Mains d'Argent, pour le plaisir de le nommer), il en sera de même pour Monsieur Lugosi : les dernières bobines à immortaliser la sienne sont celles d’Ed Wood pour Plan 9 From Outer Space.
Ainsi, notre réalisateur décide de passer du poste de producteur à celui de metteur en scène, et valide sans aucune réécriture le premier script de cent-quarante-sept pages rédigé par Alexander et Karaszewski en six semaines.
Il évite de revoir les films d’Ed Wood, préférant comme "muse" sa mémoire et ses sensations.
Le rôle principal échoit à Johnny Depp qui revient pour une troisième collaboration avec Tim Burton (la seconde sous le prénom « Edward ») !
Afin de travailler son rôle, il étudie le jeu d’acteur de Mickey Rooney, puis de Ronald Reagan (dont « l’optimisme aveugle » l’inspire) et de Casey Kasem, au ton « totalement confiant et jovial » digne d’Ed Wood ! En effet, Burton ne veut pas se considérer comme un biographe linéairement fidèle à la réalité : il ne va s’attaquer qu’au début de la carrière de la personnalité concernée, en omettant le déclin cruel que le sort hollywoodien lui a réservé. Ce film jouera sur l’optimisme pur, délirant, "pathologique" !
Il est authentique qu’Ed Wood était persuadé de son talent, mais Burton va transformer cette tragédie en un tendre combat acharné, aussi noble que ridicule : refusant toujours de céder à la désillusion, Wood croit en sa victoire, il y croit tellement qu’on veut aussi y croire, qu’on espère avec lui... tout en sachant qu’il n’y arrivera pas. D'où vient cette foi têtue et absurde qui nous fait prendre plaisir à le voir reprendre courage et sa quête, alors que l’on sait que tout ceci est vain ? Un poète au noble nez aurait dit : « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile » !
Les larmes qu’un spectateur peut verser entre deux rires face à son obstination démesurée sont peut-être sa plus grande victoire, son plus précieux legs…
Mais il s’acharne, avec l’espoir de changer le monde… l’espoir… Il refait pourtant les mêmes erreurs, multipliant les « c’est parfait » à chaque prise unique, malgré les perches qui errent dans le champ, les décors froissés qui tombent, les murs en carton qui plient, les portes qui se déchirent et les tapis d’herbe qui se décollent… L’amateurisme est devenu un art, le brouillon raturé est devenu "perfection" ! Burton a trouvé de quoi "renverser les valeurs" !
Ce sera Martin Landau qui redonnera vie à l’ancien interprète de Dracula, ayant vécu autant de déboires et traversé autant d’épreuves que ce dernier pour que leur visage soit imprégné du même passé, du moins, selon Tim Burton.
Pour parfaire son jeu, l’acteur a même étudié vingt-cinq films et sept entretiens de Béla Lugosi tournés de 1931 à 1956. Le résultat lui vaudra l’Oscar du Meilleur Acteur dans un Second Rôle !
Alors que l’on préparait son maquillage (bien que Burton veuille le réduire au minimum pour permettre à Landau d’utiliser son visage), la question s’est posée : « de quelle couleur étaient les yeux de Béla Lugosi ? ». Ne voulant pas qu’on ait à se poser ces questions de véracité, Burton décida que son film serait en noir-et-blanc ! Il est un inventeur d’histoires et les exigences de la réalité ne doivent pas le déconcentrer ! Qui plus est, quel plus bel hommage aux balbutiements du Cinéma que cette esthétique d'ombre, de surcroît dichotomique ?
Ainsi, les images des véritables films d’Ed Wood se fondent dans celles de son hommage éponyme : plus qu’un réalisateur, ce dernier était devenu un personnage ! Outre son aspect "archives", le noir-et-blanc reprend bien l’idée d’un monde souterrain, ombré, même à l’intérieur de l’univers cinématographique fait de lumières !
Ces arguments ne suffirent pas à convaincre Columbia Pictures, qui vendit les droits du film au plus offrant, à savoir les studios Disney ! Encore eux, du moins, sous leur couverture Touchstone Pictures.
En raison de plusieurs différends sur L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Danny Elfman ne signe pas la musique du nouveau film de Tim Burton. Ce sera à Howard Shore de s’en charger !
Ed Wood : une simple étape dans la filmographie de Burton ? Non ! La réalité de Wood se sera endormie pendant plusieurs années pour se réveiller dans la réalité de Burton : ce long-métrage se termine avec le « pire réalisateur de tous les temps » assistant à l’avant-première de son œuvre, Plan 9 From Outer Space, une histoire scintillante de soucoupes-volantes et ruisselante de défauts techniques, plus proche de la parodie que du drame ! C’est donc après le mot « End » que Burton va proposer son propre Plan 9, plus connu sous le titre de Mars Attacks !.
Sa huitième création est basée sur un jeu de cartes scénarisé que les enfants s’échangent en grands marchandages dans les cours de récréation… Encore une prémisse digne de lui !
C’est le scénariste Jonathan Gems qui, en 1994, alors qu’il visitait une boutique de souvenirs, tomba sur ce jeu collector datant de 1962 et déjà intitulé Mars Attacks. Il avait déjà à de nombreuses reprises collaboré avec Tim Burton sur des projets non aboutis. Cette nouvelle idée est donc l’occasion pour eux de prendre leur revanche sur le destin et de concrétiser leur premier projet commun !
Néanmoins ce ne sera pas une mince affaire, et leur duo a failli, de nouveau, être malmené quand Gems est évincé du projet par les producteurs, en cause le budget de son scénario estimé à… deux-cent-quatre-vingts millions de dollars ! À sa place, ils pensaient faire appel aux deux scénaristes de Ed Wood, mais il va falloir attendre encore quelques films avant que Tim Burton ne retravaille avec eux. Pour l’heure, Gems étant parvenu à proposer un script moins onéreux ("seulement" quatre-vingts millions de dollars), il est réintégré, à la joie de Burton qui coécrira tout de même le script sans demander à voir son nom au générique (du moins, pas pour ce poste-là) !
Bien qu’il semble moins "noir", moins "gothique", ce film est bel et bien tout ce qu’il y a de plus Burtonien ; l’affiche déjà peut en témoigner : des martiens monstrueux vêtus de costumes voyants, étoilés de paillettes, un chien à tête de femme qui ne semble pas s’en inquiéter outre mesure, des bricolages futuristes qui ne dissimulent pas leur fragilité, des couleurs bruyamment excessives - du verdâtre au jaune moutarde en passant par le cramoisi… En renforts à cette panoplie, nous avons une femme "fatale" au regard immobile, éclatante d’impassibilité, aux formes déjà parodiques et dont la peau se fond à l’extravagante robe (conçue par Burton lui-même)…
Dire que tout ce personnage a été inspiré par l’achat d’une perruque miteuse qui avait tapé dans l’œil du réalisateur, à New-York…
Et puis bien sûr, en haut de l’affiche, les noms des acteurs : le Joker, le Pingouin, Vampira, Juno, Batman-Bis, Presque-Catwoman… Ou, en d’autres termes : Jack Nicholson (jouant le Président et un certain Art Land), Danny DeVito (un inconnu totalement anonyme), Lisa Marie (la "femme fatale"), Sylvia Sidney (ici, une grand-mère, autrefois une dirigeante du Purgatoire qui n'aimait pas Beetlejuice), Pierce Brosnan (qui avait refusé le rôle de Batman cinq films auparavant et qui incarne, ici, un scientifique), Annette Bening (Barbara Land, qui aurait précédemment dû être Catwoman, si elle n’avait été obligée de quitter le projet du fait de sa grossesse)…
Bref, que de connaissances ! Évidemment, ça n’a pas empêché le réalisateur de travailler aussi avec de tous nouveaux partenaires, tel Martin Short, pour le conseiller du Président (et qui se fera aussi connaître en jouant le Chapelier Fou lors de la version d’Alice au Pays des Merveilles de Nick Willing en 1999), ou bien Natalie Portman, dont c’est non seulement le premier rôle avec Burton, mais aussi un de ses premiers tout court, et qui joue la jeune fille du Président.
Quant aux Martiens, ce sera à la société d’effets spéciaux de George Lucas, "Industrial Light and Magic", spécialisée dans les images de synthèse, de se charger de leurs apparitions. Tim Burton parachève enfin sa signature en faisant apparaître dans le film son chihuahua...
Ce petit canidé que Lisa Mary et lui avaient acheté à Tokyo prête ses traits et ses aboiements au cher, inséparable et indécrochable compagnon de la présentatrice (Sarah Jessica Parker)...
Monstres, dérision, monde sens dessus-dessous où les grands deviennent ridicules et où ce sont des enfants qui sauvent le monde contre une attaque de martiens cruellement idiots et grotesques… Que demander de plus pour du burtonien ?
Malheureusement, l’accueil n’est pas au rendez-vous ; en cause notamment une mauvaise campagne de distribution qui a oublié le public évident des fameux principaux héros de l’histoire : les enfants !
Ah, l’espace ! La Rome de toutes les évasions, autour de laquelle tous les chemins tournent… Mars peut sans doute se vanter d’être aux premières loges pour assister à la vie terrienne, mais bien d’autres contrées nocturnes inondent l’Univers ! Que de rêves doit-on pouvoir y trouver ! Peut-être une planète pleine de manchots, dont la principale végétation est constituée de parapluies ? Ou habitée par des chats rapiécés ? Ou colonisée par des cafards morts-vivants ?
La galaxie Burton abrite moult mondes particulièrement peuplés par des "humanimaux", ces humains qui aiment singer les bêtes et qui fascinent tant le réalisateur
Parmi ses astres les plus connus, aux confins d’un carrefour de météorites, une de ses planètes est peuplée de singes ! Objet Errant Non Identifié, La Planète des Singes est d’abord passé par plusieurs "pères" : Peter Jackson en 1992, Sam Raimi ou Oliver Stone en 1993… La Twentieth Century Fox lui a finalement trouvé son scénariste - William Broyles Jr - et son réalisateur définitifs ! Mais pas son titre : Le Visiteur restera un certain Temps inscrit sur la page de garde du script !
Il y avait déjà eu une version du livre de Pierre Boule : celle de Franklin J. Schaffner - plus connu pour son Papillon ou son Patton et (beaucoup) moins connu pour son Alice au Pays des Merveilles - qu’admirait Burton. Reprendre les commandes de ce "vaisseau", l’enchantait tout comme l’inquiétait : pour proposer une version marquante d’un film, il vaut mieux que l'original soit incontestablement raté ! Si ce n'est pas le cas, il reste l'option d'une histoire qui soit une "réinvention" de l’Univers, plutôt qu’une suite ou un remake.
Ainsi, cette planète aux singes n’est pas un "double" de la Terre qui aurait différemment évolué, comme le voudraient les œuvres précédentes. Quant aux singes, il y en a bien plus que trois espèces, comme c’était le cas auparavant. Burton les veut d’ailleurs plus "simiesques", à « 80 % singes et 20 % humains » : pour lui, des singes derrière lesquels on voit une silhouette humaine seraient trop ridicules et il veut traiter cette histoire le plus sérieusement possible, le concept de singes parlants étant déjà, en soi, dangereusement comique ! Si bien que les acteurs suivent des cours "de singeries" dans une école spécialement créée pour ce tournage.
La Fox voulait que les images de synthèse remplacent le maquillage, ce à quoi Burton s’opposait fermement : il a insisté pour que Rick Baker, un passionné de primates, s’occupe des prothèses, comme il l’avait déjà fait pour Greystoke, La Légende de Tarzan, Bigfoot et les Henderson et Gorilles dans la Brume. Plus "convaincant", mais aussi plus fastidieux, le maquillage obligeait les acteurs à arriver à 2 ou 3 heures du matin pour une journée se finissant vers 21 heures !
De plus, alors que le personnage de Thade, "l’ennemi principal", était plutôt pensé comme un gorille effrayant, Burton préfère le chimpanzifier : pour lui, un chimpanzé est beaucoup plus sournois sous ses airs inoffensifs, dissimulateur malgré son apparence sympathique - offrant une "dualité fascinante" pour le réalisateur ! Et il en sait quelque chose : un chimpanzé assistant au tournage n’a pas cessé de lui faire des misères !
Encore une fois, cette histoire cache la patte de Tim Burton : une société aux valeurs renversées (où ceux qui gouvernent ne sont pas ceux à qui l’on aurait pensé) mais dans laquelle, pourtant et toujours, les codes et les règles étouffent les êtres dans l’obscurité.
Il y a aussi des humains qui se prennent pour des animaux, des animaux qui se prennent pour des humains, quelques marginaux pourchassés, un "méchant" acharné aussi déchaîné qu’un Joker qui aurait perdu son sourire, un étranger égaré et, enfin, la quête du retour chez soi… avec la même noirceur dans le dénouement : pessimiste et facétieux à la fois, comme si rire donnait envie de pleurer !
D’ailleurs, pour garder au plus secret le twist final, les acteurs et les techniciens n’avaient à leur disposition qu’un scénario incomplet ! Si bien que les rumeurs tentèrent de deviner cette fin jalousement gardée : certains ont même été jusqu’à dire que Burton avait tourné plusieurs fins pour induire davantage en erreur les espions du Cinéma !
Quant au rôle-titre, le capitaine Leo Davidson, joué par Mark Wahlberg, son impassibilité et sa détermination insoucieuse de son entourage n’ont d’égales que celles de Bruce Wayne par Michael Keaton !
Le film marque aussi la première collaboration entre le réalisateur et Helena Bonham Carter, qui ne le quittera plus d’une pellicule jusqu’à son dix-septième film !
Durant la production de La Planète des Singes, le père de Tim Burton meurt en Octobre 2000, suivi de sa mère en Mars 2002. Bien que n’ayant jamais été vraiment proche de ses parents, ces pertes l’auront profondément affecté et il cherche à renouer avec l’intimisme pour son prochain film.
Un conte narrant des tas d’autres contes, l’œuvre qui va bientôt entrer en préparation est une œuvre qui parle de famille, pour un public familial, créée par des orphelins qui replantent leurs racines par le Cinéma, le projet devenant une fratrie de seconde chance : un arbre généalogique en pot.
Le premier orphelin de l’aventure est John August, qui venait d’enterrer son père avec qui il ne s’était jamais très bien entendu. C’est alors qu’il découvre le manuscrit de Daniel Wallace, Big Fish, A Novel of Mythic Proportions, six mois avant sa parution. En Septembre 1998, il convainc Columbia Pictures d’en acquérir les droits et commence à travailler sur le scénario. Steven Spielberg est contacté et accepte de prendre en mains le projet juste après Minority Report (2002). Le second orphelin est Richard D. Zanuck dont le père, Darryl F. Zanuck est le co-fondateur de la Twentieth Century Pictures (créée en 1933) qui fusionnera avec les studios Fox en 1935 pour former les studios qu’on connaît. Alors que Richard y était chef de production, il connut dans les années 1960 des échecs qui encouragèrent son père à le renvoyer. Autant dire que leur relation était loin d’être tendre ! Producteur attitré de Burton depuis La Planète des Singes, il ne peut qu’être touché par ce projet quand celui-ci (ayant remplacé Spielberg parti pour Arrête-moi si tu peux) vient le lui proposer. Et le dernier orphelin, bien sûr, c’est Burton lui-même !
Burton qui se retrouve non seulement dans l’âme du jeune William Bloom, le fils du conteur, mais tout autant dans le personnage d’Edward Bloom, ledit conteur ! Car, comme lui, le réalisateur raconte des histoires, refond la vérité, sublime la vie et les liens familiaux… Ce nouvel Edward n’est pas compris de son fils, qui lui en veut de ne lui raconter que des inventions sans lui avouer son "véritable" passé.
Ce n’est qu’après des années de rupture que William, amené à revenir au chevet de son père mourant, a enfin l’occasion de se réconcilier avec lui et de découvrir la seule et véritable histoire… ou bien l’occasion d’écouter enfin pour comprendre vraiment ces histoires ?
C’est donc ainsi que le père se remet en chemin dans sa mémoire : entre les scènes de "confrontation" père-fils, Edward Bloom rajeunit dans ses propres paroles, repart une nouvelle fois pour sa grande aventure ! Comme le film alterne passé et futur, Tim Burton a d’abord pensé au maquillage pour le vieillissement. Originellement, Jack Nicholson était prévu pour jouer Edward Bloom, mais deux des producteurs vinrent proposer Ewan MacGregor dont le jeu sur Bye Bye Love (2003) les avait impressionnés.
C’est alors que le réalisateur eut l’idée de deux acteurs différents pour incarner deux époques différentes. Est-ce parce qu’il avait lu dans un article du magazine People qu’Ewan MacGregor ressemblait beaucoup à Albert Finney jeune, ou parce qu’il avait apprécié la performance d’Albert Finney dans Tom Jones (1963), que Burton tomba d’accord pour les engager tous les deux dans la peau d’un même personnage ?
Toujours est-il que le même sort fut réservé à la femme d’Eward Bloom, ressemblant tantôt à Alison Lohman quand elle est jeune, tantôt à Jessica Lange quand elle est plus âgée.
Quant à la nouvelle compagne de Burton, Helena Bonham Carter, suite à la suggestion de Richard D. Zanuck lui-même, elle incarnerait non seulement Jenny, une amie "d’enfance" de Bloom, mais aussi une sorcière à l’œil de verre reflétant la mort réservée à quiconque s’y regarde, et dont la prothèse de maquillage prenait cinq heures à être posée…
Et, comme pour arranger les choses, elle était déjà enceinte du premier enfant du réalisateur, destiné à naître peu avant la sortie du film : comme si, encore une fois, la réalité s’amusait à répondre à la fiction en un étrange échange, Burton allait devenir pour la première fois père, tel Edward Bloom (et William) ; il a même appelé son fils Billy (Bill étant une dérivation de William) !
Par ailleurs, des caméos interviennent dans ce film : des personnalités apparaissent en une sorte de clin d’œil, que ce soit le professeur d’économie de Sandra Bloom, la future femme du héros, qui est joué par Daniel Wallace, l’auteur même du roman adapté, ou un curieux joueur de banjo, installé à l’entrée du village de Spectre, qui interprète le célèbre air de cet instrument dans Delivrance de John Boorman et qui est joué par le même acteur, Billy Redden, retrouvé par l’équipe de tournage alors qu’il travaillait dans un lointain restaurant de Georgie.
Pour son film, Burton a voulu le plus possible éviter les effets spéciaux numériques : même Matthew MacGrory passe de ses deux mètres et quart aux trois mètres de Karl le géant autrement...
C’est la technique de la perspective forcée qui lui donne son dernier mètre : en le plaçant plus proche de la caméra que les personnages et autres éléments avec lesquels il interagit. L'illusion sera aussi créée via incrustation en fond vert de prises avec Edward Bloom (tournées à part), dans ses plans à lui, quand tous deux évoluent dans la même image.
Ou encore, s'il doit retourner une voiture de la seule force de son bras, une maquette du véhicule en format réduit pourra s'avérer bien utile !
Ce sera la dernière fois que Burton refusera de toucher aux effets spéciaux de post-production !
Un conte parsemé d’enfance, de mensonge et de réalité entremêlés, agrémenté de poétiques démesures de-ci de-là, Big Fish a beau être plus coloré, optimiste et lumineux, il n’en reste pas moins un véritable Burton !
Ces mêmes aspects seront tous les trois repris plus tard dans un autre film qui aura gardé un morceau de ce titre ! Big Eyes sortira en 2014, avec Amy Adams et Christoph Waltz en tête d’affiche. Seconde biographie pour Tim Burton, qui semble impliquer une seconde collaboration avec les scénaristes de la première, Ed Wood : Scott Alexander et Larry Karaszewski ! D’ailleurs, au départ, ce devait être eux, les réalisateurs, Burton restant producteur.
Beaucoup moins fantasque, notre homme s’attaque ici à un scandale dans le milieu artistique : un abus de paternité de plusieurs œuvres représentant des enfants aux yeux démesurés. Dans tous ses croquis, il dessinait déjà ses personnages avec d'énormes globes oculaires, la majorité d’entre eux étant des enfants. Peut-être se reconnaît-il en Margaret Keane, la véritable créatrice des Big Eyes au style similaire, ce qui l’aurait poussé à lui rendre publiquement justice ?
Pour la première fois, il quitte le format 35 mm pour tourner intégralement en numérique, en raison de restrictions budgétaires. Cela ne l’empêchera pas d’essayer de garder sa jeunesse dans ses idées et d’intercaler des scènes "burtoniennes", telle celle fantasmée où Margaret Keane, dépossédée de ses "enfants", voit des gros yeux partout sur le visage des inconnus. Scène malheureusement trop courte…
Quant à Walter Keane, le mari "voleur de paraphe", possédant pour l’occasion le physique de Christoph Waltz, il a droit à des gestuelles proches du trop ancien Joker, délirant et extraverti, comme dans la séquence de procès virant au spectacle de cirque…
Les œuvres de Tim Burton ont toujours été ouvertement adaptées : d’ une série, de livres, de comics, de poèmes, de jeux et même de la réalité. Big Eyes ne fait pas exception, même si son générique moins long et "impressionnant" que d’habitude annonce un film moins "audacieux" que la plupart de ses prédécesseurs…
L’empreinte de Tim Burton ne se contente pas de noirceur, de gothique ou de monstres… Son œuvre est bien plus ! Sa signature est composée de bien des encres : celle de l’humour, de la dérision, du merveilleux, de l’humain, des renversements de rôles… Il n’est pas rare que son nom au générique puisse surprendre quand il se dévoile. Après tout, un bon artiste se doit d’être imprévisible… tout en demeurant, après coup, indubitablement reconnaissable !