(Synema est une variété d'araignée qui n'a en commun avec notre sujet que le nom... et aussi le fait que le Septième Art est une immense toile, peuplée de nœuds dramatiques et d'émotions qui révèlent parfois les larmes... ces étranges rosées du matin. Ce n'est pas le Web qui contredira tout cela !)
Chers lecteurs et chères lectrices de la Synema, en ce lieu vous attend une des dix parties de l'article Fils de Synema 4, consacré à une analyse du sixième long-métrage de Guillermo Del Toro, Le Labyrinthe de Pan (2006), à l'origine trop vaste pour tenir dans son intégralité sur une seule page, "dans le même paysage"...
Ici n'est donc que l'une des "contrées" dudit "comté" contenant le même conte discontinu...
Prenez-le bien en compte !
La Synema vous recommande de commencer votre lecture par le Chapitre 3, mais vous pouvez aussi défier les conventions en démarrant directement par le Chapitre 5 !
uillermo se trouvait maintenant avec les contenus des trois premières cloches de cristal qu’il avait tous les trois choisi d’emporter. Il devait à présent se pencher sur le cas du quatrième autel où attendait l’étrange arbre rouge-sang dont les branches s’entortillaient à la manière d’un A.D.N. : c’était l’autel de la Famille !
En effet, le thème de la famille est très présent dans Le Labyrinthe de Pan. Si l’humain ne parvient pas à immortaliser son corps, peut-être peut-il immortaliser son sang ! La famille devient donc la protectrice de la mémoire ! Si on ne sait pas qui, de la poule ou de l’œuf, était là le premier, on sait qui on veut voir rester jusqu’au bout, en dernier : nos gènes, notre es-sang-ce, notre patrimoine, notre mot à nous !
[Précisons toutefois qu'il y a fort à parier que la poule et l’œuf soient en réalité de la même famille... Ce serait une grosse erreur que de négliger cette information fondamentale !]
C’est pour cela que le Capitaine Vidal attache une importance toute particulière à sa descendance, à ses "semblables".
Sans doute parce qu’il serait trop lourd et encombrant à porter seul, son ego ne se contente pas de lui-même (ils doivent s’y mettre à plusieurs) : c’est de son "espèce" qu’il est fier.
Peut-être "aime"-t-il sa femme, mais s’il faut choisir entre elle ou l’enfant qu’elle aura de lui, c’est évidemment l’ambassadeur de sa lignée qu’il faut sauver !
Ce n'est d'ailleurs pas anodin que son unique geste "tendre" envers Carmen, venant d'arriver, est de caresser son ventre arrondi : ce n'est pas elle qu'il accueille ! Elle ne sert qu'à porter le "grand invité", quitte à devoir supporter le fauteuil roulant, bien que défendant pouvoir encore marcher. Malgré ses tentatives d'expliquer à son mari que cela lui déplaît de se présenter ainsi devant tout le monde, celui-ci n'en a cure et insiste : la gêne de sa femme l'importe moins que ses gènes à lui !
Tout comme Ofelia ne peut se résoudre à le considérer comme son père (ce que sa mère n'aura de cesse de lui demander), lui ne la trouve pas digne d'être de sa progéniture (de manière plus générale, il semblerait qu'il considère indigne de lui n'importe qu'elle fille).
Il n’hésitera donc pas à lui nuire.
Pour lui, la famille peut être la richesse de quelqu’un, ou sa pauvreté : c’est elle qui déciderait du rang social et déterminerait le tau d’honneur ou d’intégrité à octroyer à chaque personne. Elle devient donc un symbole de pouvoir… ou de non-pouvoir !
À ses yeux, la famille serait une expression de la fatalité, une sorte de sort, une incassable chaîne du Destin (qui protège, qui garde, à laquelle on peut s’accrocher, mais qui retient et immobilise aussi). Une chaîne qu’il espère plus longue que le Temps... jusqu'à le dépasser !
Cependant, cette vision s’avère sa prison : comme un banni, un bagnard ou un fantôme, il est coincé entre deux générations, entre son père et son fils, entre le Passé et le Futur (les valeurs qu’il défend en sont d’autant plus "éphémères", "immobiles", "inexistantes" face au Temps) ! D’une certaine façon, son identité n’existe pas, du moins, pas en dehors de son père et de son fils… Sans eux, il se retrouverait face à ce qu’il est vraiment : seul et orphelin.
Cette obsession à répéter l’Histoire en boucles, à rejeter sur son rejeton ce que son géniteur avait fait de lui, c’est la forme qu’a prise sa quête insensée autant que désespérée d’immortalité.
L’idée de famille est aussi montrée comme ce qui relie les êtres et les sauve de la Mort : si les résistants parviennent à survivre, c’est grâce à la sœur de leur meneur : Mercedes. Mercedes qui sera à son tour sauvée d’une exécution par l’intervention de son frère et de ses compagnons.
Quant à Ofelia, il semble bien que sa confidente, son soutien, sa "force" et l'unique rempart qui la protégeait du Capitaine Vidal était Carmen, sa mère...
(Elle sera même venue à son secours lorsque le Capitaine la brutalisait, dans la scène de découverte de la mandragore).
À la mort de cette dernière, la nouvelle orpheline se trouvera entièrement à la cruelle merci de son parâtre !
Et même s'il ne lui accorde à ce moment aucune attention, ayant d'autres priorités, le spectateur ne peut que s'inquiéter et redouter les quelques inévitables minutes, à venir bientôt, où le Capitaine se penchera en détail sur la question du sort qu'il lui réserve, n'ayant plus de raison de la garder... de la garder en vie ! On se rassure en le voyant s'affairer ailleurs et se désintéresser de son cas, mais ce n'est qu'un sursis... une trêve où "l'accalmie" a quelque chose de peut-être encore plus effrayant.
Heureusement, Ofelia trouvera une mère de substitution en Mercedes, la seule et unique autre personne - en dehors de sa mère - à qui, plus tôt, elle s'était confiée. La fillette a besoin d'avoir une mère : sa faiblesse, sa vulnérabilité, c'est d’être orpheline !
Pensons aussi à son petit-frère qui aura à son tour le devoir de raconter à son prochain la légende de la Rose Bleue de l’Immortalité, comme l’avait fait Ofelia à travers le ventre maternel.
Jusqu’au rôle des véritables parents royaux de la Princesse, veillant de loin sur elle, emplis d'amour et d'espoir, des parents immortels qui nous ramènent à ce que les thèmes du "Père" et de la "Mère" ont de plus métaphysique par excellence !
À propos d’éternité, le tour est venu pour Guillermo de se diriger vers le cinquième autel et le trésor qui y trônait : le sablier tellement rempli qu'on l'aurait cru lui-même fait de sable ! Sans plus de détours, il est Temps de parler de Temps !
Le Temps est venu de s’intéresser à lui !
Le thème du Temps est diffus sur toute la durée du Labyrinthe de Pan ! On pourrait presque affirmer que chaque seconde de ce film traite du Temps !
En premier lieu, il est caché, en filigrane, derrière le principe de cycle ! Car, comme celui de la Vie, ce long-métrage est à lui seul une immense boucle qui commence et fini au même "point" -de vue- : la référence au regard ! Si nous entrons dans l’intrigue par l’œil de l’héroïne, nous en "sortons" par la phrase du narrateur citant l’importance de savoir observer ("le savoir-voir"). Quoi, en l’occurrence ? Un bourgeon qui fleurit, symbole du cycle et du renouveau !
Mais c’est surtout par son rapport à l’éternel que ce thème s’exprime ici… Le Temps est le Gardien qui veille sur la Porte de l’Immortalité, empêchant les humains de passer et cette histoire réunit divers exemples de vaines tentatives pour déjouer ce "Cerbère à pendule". C’est la recherche de la Vie Interminable !
Recherche qui pourrait théoriquement trouver sa solution dans l’arrêt de la course du Temps ! Tout bonnement ! Peut-être est-ce aussi cela le message que soupire la montre fêlée du Capitaine Vidal qu’il a du mal à réparer : à défaut de "tuer" le Temps, on peut toujours essayer de le faire taire. La mission de ce personnage se résume à empêcher le Temps de changer ! Il représente pourtant une époque révolue, obscurantiste, aux idéaux rétrogrades (voire dégradants), se damnant au passé, vendant son âme au monde d’hier, aux divinités d’avant… à son père…
Il ne supporte pas que ce monde échappe "aux siens", ou que ce monde échappe à lui ! Il ne tolère pas qu’il soit dépassé... que son passé soit dépassé ! Il ne peut accepter que le Docteur Ferreiro lui tourne le dos et s’en aille vers l’avant, sans jamais se retourner, même quand il lui tirera une balle dans le dos (lui et son "monde" n’existent plus pour le Docteur) ! Alors que lui reste en arrière, planté, immobile. En la personne du Docteur, le Temps s’éloigne de lui…
Comment ? Lui, un haut gradé de l’armée franquiste, comment le Temps ose-t-il ne pas lui prêter l’attention due à son rang ? Il est quand même « de la race supérieure », un commandant craint et respecté ! Alors que le Temps… Eh bien… C’est juste le Temps !
Il apprendra brutalement (en un éclair) qu’on ne perpétue pas le Passé ! Quoique… Pour lui, il semble que le passé ait été une telle passion, que l’on peut se demander s’il est encore Temps pour lui de s’en passer !
Parce qu’il n’est pas bon d’être immortel en ce "bas-monde", pourtant décrit comme « celui de la Surface » ! Il n’y a qu’à observer ce que cela a donné avec les autres tristes étranges êtres qui ont essayé : entre le Crapaud de la première épreuve qui, à cause de son immobilité, détruit à petit feu le Grand Arbre (et la Nature en personne), le condamnant à un automne aussi hivernal qu’éternel, et l’Homme Pâle, rachitique comme une racine fanée, noyé dans un si profond sommeil qu’il en est peut-être mort, siégeant seul à son festin d'imperturbable flot de nourriture (étrangement non-pourrie) et dont le seul et unique but dans la "vie" est d’attendre qu’un enfant passe dans son antre (sans entrée !) pour le manger (heureusement qu’il semble patient !)…
L’un comme l’autre de ces monstres est devenu horrible pour avoir "stagné" trop longtemps : l’un en se nourrissant trop, l’autre en hibernant (vous parlez d’une immortalité ! À quoi peut-elle bien lui servir s’il la passe en dormant ?).
Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’ils sont physiquement l’antithèse l’un de l’autre ! Pourtant, ils ont le même statut (d’autant que l’on devine que l’Homme Pâle a jadis été plus gros, lui aussi) : d’un extrême à l’autre, ils restent monstrueux… Sans doute est-ce pour illustrer qu’une immortalité clandestine peut prendre un très large panel de formes morbides !
Même le Faune a un aspect effrayant et on garde toujours en coin de tête une certaine appréhension ! Est-il vraiment l’allié d’Ofelia ? Peut-on se fier à lui ? D’autant qu’il a une façon de parler par énigmes parfois peu encourageantes et un regard peu rassurant, quelquefois…
On croira même ces craintes confirmées lorsqu’il se mettra dans une sombre colère en apprenant que la jeune fille lui a désobéi. Une colère tellement soudaine, en contraste tellement abrupt avec son comportement "habituel", que ça en devient terrifiant.
L’énoncé qu’il lui fera de sa troisième épreuve, à savoir sacrifier son petit-frère venant de naître, n’arrangera pas vraiment son cas à notre égard…
Bien que le Faune ait un statut à part dans cette peuplade de créatures insoupçonnées, il n’en demeure pas moins lui aussi inquiétant. Voilà donc à quoi ressemble une immortalité falsifiée ? Voilà donc le visage d’une éternité détournée, "artificielle" : "anormal", "déréglé", "détraqué"… "corrompu"…
Effectivement, jusque dans l’immortalité nous retrouve la mort ! Ce ne sera pas contredit par la fameuse Rose Bleue qui passe son éternité à mourir tous les soirs !
Ce ne sera pas non plus infirmé par la fresque dans l’antre de l’Homme Pâle, qui ayant beau servir d’intimidation, n’en demeure pas moins assez peu plaisante à contempler : elle est composée d’images de mort !
Ce, pas seulement parce qu’on y perçoit un massacre, mais aussi parce que ce sont des images elles-mêmes figées, prisonnières du mur où elles sont gravées, là où personne ne pourra jamais les admirer, le seul observateur potentiel des environs n’ayant littéralement pas "les yeux en face des trous".
À l’inverse, le Livre magique d’Ofelia s’illustre au fur et à mesure : c’est l’image vivante à son apogée ! Les secrets qu’il garde évoluent en même Temps que lui ! Si certains écrits "respirent" la mort, d’autres sont nimbés de souffle et de vie !
Nous en reparlerons, mais dans ce film résonne aussi une forme d’éternité plus positive et bénéfique : l’Immortalité en harmonie avec la Nature et le Temps ...!
C’est sur un début que l’histoire se termine : la floraison du Grand Arbre libéré. Il n’y a donc pas vraiment de fins… seulement des commencements !
La recherche de l’Immortalité anime plusieurs autres thèmes déjà évoqués : celui de la mémoire, celui des souvenirs et traces que l’on laisse derrière soi, celui de l’héritage et de la famille, mais aussi celui de l’identité !
C’est souvent par le nom que la famille perdure : parce que l’on donne un nom au sang. C’est par le nom qu’on s’installe plus aisément dans les mémoires et la postérité ! C’est lui qui restera de nous quand nous serons partis ! Vous en êtes-vous déjà fait la remarque ? Notre nom nous enterrera tous ! Il aura raison de nous !
Or, l’identité est aussi beaucoup mise en avant dans ce film (comme le veut la tradition des contes) ! Ainsi, l’héroïne se balancera d’une identité à l’autre, devant répondre tout autant au nom d’Ofelia qu’au nom de Princesse Moanna !
Pour l’anecdote, précisons que l’Homme Pâle n’est jamais nommé ! On ne sait même pas s’il faut le désigner ainsi (heureusement qu’il y a le générique de fin) ! Serait-ce là un symptôme de sa damnation, de sa déshumanisation ?
Et il est inutile de rappeler à quel point le Capitaine Vidal est fier de son patronyme !
Enfin, le film nous propose une dernière méthode pour "battre le Temps à sa course" (ne pas confondre « battre le Temps » et « battre les temps »… Une décapitation pour lèse-Temps est si vite arrivée…) : la réincarnation ! Thème porté par Ofelia-Moanna, mais aussi compris dans tout ce qui se rapporte au renouveau, comme à la fameuse floraison de la fin !
Nous avions commencé l'analyse dédiée au Temps en évoquant le « regard » sur cette fleur, nous la terminons de même ! Ici aussi, la boucle est encore bouclée !
Cela va de soi, il n’y a pas assez de Temps pour tout dire de lui et de son thème !
D’autant que Guillermo n’a pas fini sa deuxième épreuve à lui : il reste encore un dernier autel ! Alors, il souleva la cinquième cloche, comme il l’avait fait pour les quatre précédentes, et saisit le "sablier semblant de sable". Jusqu’à présent, il avait choisi de tout garder. Qu’en serait-il pour le prochain ? Vous vous en doutez, sans doute !
C’est donc les mains et les idées pleines des cinq premiers trésors qu’il se dirigea vers le sixième autel où était posé un grand livre aux inscriptions sacrées : à présent, place au thème de la "Lecture Biblique" !
Moult thèmes déjà cités semblent donc converger vers celui du Métaphysique et du Divin, ce Nord préféré des boussoles, ce "Pôle du Berger", cette "Rome Ultime" attirant inexorablement tous les chemins !
À défaut de nous présenter un Paradis sur Terre, ce film renferme un Paradis sous Terre : le Royaume Souterrain ! En effet, ce monde féérique nous est présenté comme un éden, où règnent, en plus d'un bonheur éternel, un Roi et une Reine bienveillants, vêtus d'une somptueuse hermine de pourpre, d'or et de clarté. Leurs trônes, perchés au sommet d'une immense colonne chacun, dominent une gigantesque salle aux précieux éclats, si intenses, si libérateurs par rapport à la nocturne noirceur de la scène qui précède, qu'on jurerait que la lumière y est vivante ! Quiconque se trouverait en ce lieu serait persuadé l'entendre respirer sereinement et sentir son souffle étincelant, phosphorescent ! Cette lumière, presque irréelle, paraît inonder la pièce de diamants flottants ou de cristaux planants, aux reflets dorés, lancés en cascades à travers le grand vitrail incrusté et sculpté sur le mur du fond. Évidemment, à l'image, ce "soleil intérieur" ne manque pas de dessiner une "auréole" au dos du Roi et de la Reine !
Comme pour le jeune Arthur s'apprêtant à retirer l'Épée de la roche, un flot de rayons sourd du haut de l'image, d'un plafond invisible hors-champ, pour s'échouer tout droit sur Ofelia et les pas qu'il lui reste à faire pour rejoindre ses parents. Quelque chose de sacré est en train d'avoir lieu
Ce décor a tout de l'Au-Delà, du Salut Éternel, surtout si on considère que, lors de la scène précédente, dans le monde de la Surface, Ofelia vient de "mourir", "sacrifiée" par la guerre et la cruauté dérisoires. La métaphore semble "claire", "lumineuse" (c'est le cas de le dire !) : Ofelia est maintenant rentrée chez elle, dans son royaume divin, foyer de l'Immortalité.
D'autres indices peuvent nous ramener à une approche religieuse : par exemple, est-ce une simple coïncidence que Carmen, la mère "humaine" d'Ofelia soit jouée par la même actrice que la Reine du Monde Souterrain, comme s'il s'agissait de la même "âme", réincarnée ?
Alors que ce n'est pas la cas du Roi... Il est possible que ce ne soit qu'une extrapolation de la Synema, une vue de son esprit, mais cette configuration tend à lui rappeler la Sainte Vierge Marie, d'abord humaine mortelle, puis divinisée pour avoir enfanté le Christ, devenant dans la religion chrétienne le symbole de la Mère par excellence. D'ailleurs, la Reine ne tient-elle pas des langes dans ses bras aimants ? Ne porte-t-elle pas un nourrisson, emmitouflé dans la chaleur d'un sommeil innocent, à l'image de la Sainte Vierge et de son enfant tels qu'on les voit souvent représentés sur les icônes ? Sans parler de l'éclairage doré-jaune-orangé qui n'est pas sans évoquer leurs coloris !
Et pour ce qui est du Roi ? Assis dans son "ciel", il a dans le regard, mêlé à la bienveillance et à la solennité, un peu de la fatigue sereine qu'apportent la sagesse et l'âge. Ses bras drapés d'écarlate reposent sur tout le long des accoudoirs, presque immobiles, avec dans l'attitude, la grâce discrète d'un Vénérable. Ses longs cheveux immaculés et sa barbe blanche ont quelque chose d'aussi étincelant que l'or de sa couronne.
C'est sa voix qui, la première, raisonnera dans la Lumière enveloppant Ofelia, tel un cercueil de lumière ou un berceau de clarté ! C'est lui qui expliquera à la Princesse la "subtilité" de sa dernière épreuve, à la manière d'un sermon ou d'une réponse.
On peut voir en cette figure le Divin Père (Ofelia s'adressera à lui en ces termes : « mon père »), le Créateur qui a toujours été. En cela, "s'éclaircit" le mystère du père "mortel" d'Ofelia, que l'on n'a jamais vu. Son absence de l'intrigue devient une absence de la Réalité même : il n'existe tout simplement pas !
Faisant de Carmen, d'une certaine façon, bel est bien une représentation de la Vierge Marie.
Pour l'anecdote, il n'est pas impossible que l'on ait déjà vu le Roi sous sa forme mortelle. Au tout début... Disons même encore avant ! Certes, on sait d'Ofelia que son père était tailleur - par ailleurs métier assez récurrent dans les contes - (sachant que Saint Joseph, l'époux de la mère du Christ, fut charpentier, peut-on considérer un tailleur comme un "charpentier du tissu", au nom de la métaphore Biblique ?).
On comprend aussi qu'il est mort lorsque commence l'histoire, peut-être depuis déjà bien des ans (la mère d'Ofelia lui expliquera que ça faisait trop longtemps qu'elle était seule). Les faits racontés ayant lieu autour de 1940, son décès remonterait trop en amont du Temps pour qu'on puisse l'avoir entraperçu dans ce film...
Oui mais, si on choisit à la place 2006 comme référent, date de la sortie du Labyrinthe de Pan ? En remontant de quelques années, on se retrouve en 2001 avec L’Échine du Diable ! Nous y retrouvons Carmen (c'est étrange, on aurait la sensation que "retrouver" a quelque chose de pas très adapté au contexte) ! Effectivement, il ne s'agit pas du même personnage, mais on peut remarquer qu'elle est nulle autre que la femme qu'aime le Docteur Casarès (d'un amour pur et platonique), incarné par Federico Luppi en personne ! Pourquoi "en personne" ? Eh bien parce que c'est justement lui qui prête ses traits au Roi du Monde Souterrain !
Souvenez-vous du sacrifice du Docteur Casarès qui, même après son dernier souffle, continue à paternellement protéger les orphelins ! Surtout qu'à la fin du film, il n'est plus qu'un fantôme, resté prisonnier de son "palais", cet orphelinat abandonné dans le désert... Pourquoi n'aurait-il pas droit à son Salut libérateur ?
On considère souvent L’Échine du Diable comme le plus proche cousin du Labyrinthe de Pan, faisant de ces deux films les deux moitiés d'un diptyque. Il est amusant de constater tous les points communs que l'on pourrait dénicher entre ces deux personnages, le contexte de leur film respectif étant de surcroît identique : la guerre civile d'Espagne !
Sans considérer qu'il s'agisse du même personnage (cela risquerait d'apporter son lot d'incohérences, sachant notamment que le Roi du monde Souterrain est censé être multi-millénaire : il n'aurait pas pu attendre que le Docteur Casarès meure pour exister), ce clin d’œil imaginé par Guillermo Del Toro participe d'une certaine manière, à "caractériser" le personnage du Roi et ce qu'il représente : un protecteur fantomatique, un ange-gardien, un père bienveillant.... avec un "point-de-vue -omniscient-" (dans les deux films, la narration commence "à travers lui", que ce soit par sa voix ou par son enjeu et ses actes -créer des portails pour le retour de sa fille-, comme s'il était le témoin qui fait foi).
Astucieux, n'est-ce pas ?
"Décrire" un personnage au moyen d'un autre, issu d'un film différent...!
Bref, trêve de parenthèse, revenons à la Lecture Biblique...
Le Roi domine l'Assemblée du sommet du trône central - le plus élevé -, son épouse installée à sa droite et, à sa gauche, un trône esseulé, non occupé, "en sommeil" (destiné à la Princesse Moanna).
Il y a donc trois souverains, siégeant en triangle : le Père, la Mère et la Fille (référence à la Sainte Trinité). La fixité des personnages appuie l'idée d'icônes peintes figées dans l’Éternel.
En allant plus loin, on pourrait même voir dans le personnage du Faune une représentation d'un archange, un envoyé du ciel, un messager.
Bien qu'il tienne plus du diable que de Dieu, on peut noter toute la "cérémonie" du Capitaine Vidal pour son "dernier acte", ou sa dérisoire "grande sortie"... Après avoir sacrifié Ofelia, il sort ensanglanté du labyrinthe, la démarche à la fois solennelle et tanguante, tenant dans les bras son fils endormi dans ses langes protecteurs, comme un "prêtre" emporté dans l'élan d'une ultime procession.
Tout cela lui donne presque le statut d'un prophète portant l'enfant sacré qu'il s'apprête à offrir à la foule de fidèles qui l'attendent patiemment à la sortie du temple...
Mais le sang qui couvre sa silhouette et son pas boiteux, bosselé, révèlent bien qu'on a plutôt affaire à un ersatz de "sauveur" !
Les paroles qu'il prononcera alors se voudront aussi un caractère "mystique", auguste, ou au moins grandiloquent.
S'il voyait là une démarche sacrée pour le baptiser, c'est un peu raté : son nom, le nouveau-né va le perdre. Le fils perd un nom de famille, mais gagne une innocence et une mémoire nettoyée des crimes du père.
Ce Monde Souterrain serait donc une interprétation du Paradis, auquel les humains mortels encore vivants ne peuvent encore accéder mais dont ils peuvent s'approcher, via les églises : tous ces passages que le Roi a fait construire pour permettre le retour de sa fille rappellent beaucoup ces monuments et autres temples. Quant au fameux labyrinthe, ne pourrait-il pas faire penser aux jardins des monastères, souvent parsemés de chemins entrecroisés ?
L'un des principes du monastère, et du Clergé non-séculier en général, est d'être retiré du monde, en communion avec la nature : en huis-clos avec vue sur les cieux !
Or, toute cette histoire n'est-elle pas précisément cernée par un décor de forêt trop dense pour qu'on puisse s'en échapper ?
Il est vrai que, pour ce cas précis, on aurait du mal à comparer cette forteresse végétale et ce moulin à un paradis... Peut-être parce que l'on n'y est pas encore... La fumée grise qui s'échappe du train que les résistants vont faire sauter tendrait à confirmer que ce huis-clos-là est un Purgatoire.
Quant à l'Enfer, l'antre de l'Homme Pâle serait un des meilleurs candidats pour le représenter, surtout avec cette cheminée où gargouille et palpite un infatigable feu, vieux de plusieurs siècles, mais pourtant toujours en pleine danse endiablée.
À cela s'ajoutent les fresques peintes ou sculptées qu'Ofelia découvre sur les murs de ce "temple damné", narrant les anciens exploits gastronomiques de l'Homme Pâle dévorant des enfants. Effectivement, il n'est pas rare d'apercevoir des mosaïques ou autres gravures sacrées dans les édifices dédiés aux légendes et aux cultes, des plus bénéfiques aux plus infernaux.
L'étymologie a donné son aval (osons même dire : "sa bénédiction"), la Bible est avant tout un livre ! Un livre mystique, qui doit guider, avertir et à qui l'on offrirait certains "pouvoirs" au-delà de la magie. N'y en aurait-il pas un d'un genre similaire dans Le Labyrinthe de Pan ?
Eh oui ! Le fameux volume qui a sa façon à lui bien personnelle de guider Ofelia, ses pages ne révélant leur savoir que quand cette dernière est seule, par exemple ! Une grande place lui est échue dans le film : il aurait presque le rôle d'un important personnage de soutien... un conseiller sage... un recueil avec qui se recueillir après un écueil... On pourrait même dire de ce livre qu'il est le page d'Ofelia !
Enfin... Jusqu'à ce qu'elle lui désobéisse ! Lorsqu'elle aura goûté quelques grains de raisins dans l'antre de l'Homme Pâle, malgré les mises en garde du grimoire, celui-ci disparaîtra de l'espace filmique ! Plus aucune scène, plus aucun plan ne le ramènera.
L'élève s'étant affranchie du maître et prenant seule ses décisions, il n'avait plus lieu d'être... À quoi sert un guide que l'on ne suit plus ?
À présent, c'est la jeune princesse qui écrit son destin !
En ces lieux mortels dévastés par la haine, nombreux sont ceux qui cherchent le chemin d'une sortie, d'un ultime abri. Nombreux sont ceux qui scrutent leurs ténèbres pour y trouver un repère, une piste, une flèche... Tous ces morceaux de mie de pain semés par des fantômes d'innocence pour indiquer la bonne route et les rapprocher de la Lumière.
Ces "mies de pain" peuvent prendre plusieurs formes : n'importe quels artefact et relique. La Synema a déjà abordé plus haut ce thème qui peut être aussi associé à celui du "sacré".
L'abondance de toutes sortes d'objets que la mise-en-scène se fait un devoir de bien mettre en avant renforce l'idée de "cérémonie", voire d'animisme (la montre du Capitaine renferme-t-elle l'esprit de son père ?).
À propos de reliques et de temples, on peut aussi ressentir la notion procession codifiée derrière la discipline zélée et mécanique des hommes du Capitaine (et du Capitaine y compris). Ainsi, l'obéissance peut faire penser à l'aspect parfois grave et austère que revêt certaines pratiques religieuses. Comme si tout ce film se déroulait dans un lieu sacré : attention à notre comportement ! Mais la nature "sacrée" de tout ce décor tient davantage du cimetière que de l'église...
À nouveau, si on parle d'obéissance, n'oublions pas de citer son double négatif : la désobéissance ! Car elle aussi prend une part importante dans la "lecture Biblique" ! En effet, la Bible ne mentionne-t-elle pas une désobéissance originelle, très lourde de conséquences ? Ne raconte-t-elle pas comment les mortels sont devenus des mortels, parce que leurs deux plus anciens ancêtres ont croqué le Fruit Défendu ?
Il est d'ailleurs peut-être exagéré d'y voir un rapport avec le thème du pécher des parents qui se répercutent sur les enfants, comme pour le Capitaine Vidal conditionné par la mémoire d'un père guerrier... mais, pourquoi pas ?
Or, n'y a-t-il pas un fruit défendu, dans ce film ? Sur la table de l'Homme Pâle sont servis moult plats divers, du poulet, de la gelée, du vin... De tout ce buffet, Ofelia ne va pas jeter son dévolu sur du gigot, du poulet, des légumes, de la gelée, des fruits de mer, du caviar ou encore du vin (pour le vin, c'est plutôt rassurant), mais elle va choisir un fruit ! Qui sait si ces grains de raisin ne font pas écho au fameux Fruit de la Connaissance ?
En tout cas, en manger aura aussi des conséquences dramatiques ! Peut-être pas mondiales (quoique : rien ne dit qu'il n'y aurait pas de graves répercussions si la Princesse Moanna ne revenait pas dans son Royaume), mais il n'empêche que ce raisin a failli lui coûter son Jardin d'Eden !
Enfin, la métaphore du ventre de la Mère et de l'enfantement, filée tout le long de l'intrigue, évoque aussi le thème Biblique : nous sommes face à un monde en perdition qui attend de renaître ! Tandis que l'Apocalypse engloutit le moulin enflammé, au fond de l'image, le petit frère d'Ofelia est libéré du labyrinthe et du Capitaine Vidal.
Quant à Ofelia, elle est restée au sein du Labyrinthe, en son cœur, comme dans un tombeau. Son esprit se libère du monde de la douleur pour revenir dans son Royaume, laissant en arrière son corps inanimé dans les bras de Mercedes, sa "seconde mère" (telle Marie tenant le corps inanimé du Christ, son fils, que l'on vient de retirer de la croix ?). Son retour chez elle est sa "renaissance" !
À propos... "Mercedes"... Cela n'aurait-il pas un lien avec une lecture religieuse, aussi ? Il y a de fortes chances : "Merced" n'est autre que la traduction espagnole de "Pitié", "Miséricorde", "Merci" ! Les prénoms féminins espagnols se sont souvent formés à partir de noms de cathédrales... Ainsi, de "Nuestra Señora de las Mercedes" -"Notre Dame de la Merci"-, découle le prénom "Mercedes" ! Qui sait s'il y a un lien ?
D'autant plus que, dans cette histoire, Mercedes est l'une de celles qui fait le plus preuve de pitié !
Même la forme ronde de la Pleine Lune rappelle l'enfantement... la grossesse ! Surtout que, dans les légendes, la Pleine Lune joue souvent un rôle important pour les accouchements.
D'ailleurs, le film finit sur une naissance : le Grand Arbre, libéré de son crapaud-parasite, vient de donner naissance à sa première fleur !
Une sixième fois, Guillermo saisit donc la Clef du Présent et la tourna dans la serrure qui attendait au pied de cette dernière cloche de verre. Une sixième fois, il arracha le trésor de son tranquille piédestal.
Six fois, il avait trouvé un thème qui lui parlait de Présent Infini et d’Éternité !
Chargé de ses six trophées, il rejoignit la Fée Pérenne qui l'attendait toujours en lévitant au centre de la vaste plate-forme, le bout des pieds caressant à peine le sol.
"Gloire te soit rendue et jamais reprise, ô talentueux héros ! clama-t-elle. Te voilà vainqueur de l’Épreuve du Présent et de tout ce qui demeure inchangé !"
Elle tendit ses bras pour alléger notre aventurier qui commençait à avoir du mal à porter tout ça sans risquer de laisser tomber quelque chose. Mais jamais les objets n'effleurèrent les blanches paumes de la Fée : elle se contenta de les faire flotter et danser au dessus de ses doigts, alors qu'ils rapetissaient, se rapprochant les uns des autres et tournant de plus en plus vite... jusqu'à ce qu'ils fusionnent en un incandescent cadenas de diamants et de lumière.
"Il te revient de droit et il éclairera tes idées et tes choix quand ils seront aux mains des doutes, traqués par le découragement ou aveuglés par la désillusion, afin de leur échapper ! Accepte donc le Cadenas du Présent !"
Guillermo baissa respectueusement la tête et pris le Cadenas. La Fée du Présent joignit ses mains pour les refermer sur le vide. Quand elle les rouvrit, ce fut sur une dague qui s'y trouvait lovée.
"Pour te récompenser, lui annonça-t-elle, je t'offre la Flèche du Futur ! Elle indique la juste direction à suivre et aucun carrefour n'a jamais su la déjouer ou lui résister ! Tu seras amené à y avoir recours lors de ta dernière épreuve !
Guillermo saisit la dague qui, telle l'aiguille d'une boussole, pointa un gigantesque escalier qui se dessinait dans une lointaine et opaque brume blanche, au fond du couloir. Il avait beau essayer de la faire tourner, elle s'entêtait à braquer le même chemin.
La Fée du Présent reprit :
"Au bout de ces escaliers, tu trouveras un immense miroir coupé verticalement en deux : il s'agit d'une porte à deux battants qu'il te faudra traverser pour parvenir au Troisième et dernier Couloir de ton Labyrinthe ! Là-bas, règne le Roi du Futur, grand maître de ce qui n'est pas encore déterminé, souverain de l'Hésitation, Majesté des Dédoublements, Possesseur des Possibilités diverses ou divergentes, Sire des Croisements et autres multiplications d'éventualité ! C'est lui qui choisira ton Épreuve du Futur !"
Comme Guillermo s'étonnait de voir apparaître devant lui le tapellicule qui se déplaçait selon la direction qu'il regardait, la Fée ajouta :
"À présent, quelque soit l'horizon sur lequel tes yeux s'attardent, le tapellicule sera devant toi pour t'y conduire ! Pour dessiner ta destinée ! Désormais, il suivra ton regard, obéira à ton ambition et où que tu veuilles aller, il t'y guidera ! Toujours il sera le chemin que tu veux continuer ! Car à présent, c'est toi qui choisis où ta route doit te mener ! Maintenant, poursuis ta quête et que la chance oriente tes pas !"
Guillermo rangea dans son escarcelle le Cadenas du Présent, à côté de celui du Passé. Puis il salua d'une révérence la Fée du Présent et se mit en marche vers la brume blanche et les escaliers qu'elle laissait à peine s'échapper de son halo. Après ce qui aurait pu sembler une éternité, il parvint enfin aux pieds des escaliers. Tout autour de lui n'était plus que brouillard de lueurs, tant qu'il dut se fier au sens de l'orientation de la dague pour continuer à avancer.
La dague en avait un excellent, car bientôt, voici que Guillermo se trouvait face au miroir à deux battants, puis dans le Couloir du Futur !